C’est un sit-in quelque peu timoré mais bien courageux, ce samedi, des journalistes du quotidien « Le Temps d’Algérie » devant le siège du groupe média «Temps nouveaux ». Il ouvre peut-être une période d’incertitudes pour les journalistes présents, un bras de fer inévitable avec la direction, mais jette les jalons d’un combat que devra forcément porter toute la corporation, au risque de se désavouer. Un seul journaliste censuré et c’est toute la presse qui en pâtit.
Bien avant midi, heure annoncée du sit-in, des journalistes du quotidien «Le Temps d’Algérie » font face à l’entrée en escaliers et à portes coulissantes, de l’imposante bâtisse abritant deux quotidiens, « Le Temps d’Algérie» et « Waqt El Djazaïr » et une télé, Dzaïr TV. Ils ne sont pas nombreux, mais leur détermination est grande, face à un enjeu de taille : le libre exercice de la profession.
Tout a commencé mardi dernier quand quatre journalistes ont été suspendus et interdits d’accès à la rédaction, suite à un post facebook d’un journaliste, Aïssa Moussi, où il dénonçait une situation de censure au sein du journal : « En tant que journaliste de ce média, je me démarque d’une telle couverture voire même du contenu qui ne reflètent aucunement la réalité du terrain. Une honteuse orientation dictée par les nouveaux maîtres du moment au groupe média Temps nouveaux. Être journaliste, c’est savoir aussi faire preuve d’honnêteté avec soi-même et avec l’opinion en ces moments historiques de la vie de notre pays l’Algérie. » Il fut la première victime d’une décision arbitraire de suspension en attendant son passage devant un conseil de discipline. Pour l’avoir soutenu, trois de ses confrères écopent de la même mesure, dont son rédacteur en chef, Saïd Mekla et deux autres journalistes, Mohand Ameur Abdelkader et Fella Hamissi. Les discussions tournent autour des incertitudes du moment et du dur combat qui attend les journalistes réfractaires du « Le Temps d’Algérie » aussi bien sur un plan social que sur un plan de l’éthique et de la déontologie. Pour Saïd Mekla, « nous aimerions que les choses se règlent autour de la table des négociations, mais si cela n’aboutit pas, nous irons jusqu’à l’inspection du travail, voire la justice. Voilà pour le volet social et professionnel. Sur le plan déontologique, c’est le combat de toute la corporation qui engage désormais le devenir de la liberté de la presse ! » Il dénoncera aussi les mensonges de la direction du groupe à propos d’une prétendue tentative du rédacteur en chef de bloquer l’impression du journal auprès de la SIA. « Cela n’est ni dans mes prérogatives encore moins dans mes intentions » dira-t-il. Une partie de la rédaction refuse depuis mercredi de confectionner le journal. « Cela n’empêcha pas la direction, de faire paraître, ce jour, une édition de 16 pages, avec quatre pages de fausse pub, des articles d’agences et quelques papiers restés au frigo » comme on dit dans le jargon journalistique (gardés en réserve).
De l’urgence de l’unité d’action au sein de la corporation
Quelques journalistes rejoignent le sit-in. On est bien loin du chiffre de bon augure des signataires du premier communiqué des journalistes libres. Mauvais timing ? Une certitude : la direction du groupe Temps nouveaux a envoyé beaucoup de journalistes des autres médias, la télé notamment, et susceptibles de se solidariser avec la rédaction du journal, en reportages et missions tous azimuts dès 8h du matin. Ils seront une trentaine à brandir des affichettes de fortune, au gros feutre, dénonçant la censure et faisant l’éloge de la liberté d’expression. Dans les trois langues : arabe, français et tamazight. « Le journalisme n’est pas un crime ! », « Liberté pour la presse ! », «Non au dévoiement ! Non à l’ostracisme ! », etc. Pas de slogans scandés. Et peu de prises de parole. Le sit-in se déroule sur le perron de l’entrée principale. Aïssa Mouissi se fendra d’une déclaration où il rappelle la genèse de l’affaire et relèvera au passage, ironie du sort, que l’actuel DG du groupe a été adoubé par les travailleurs et les journalistes, il y a quelques mois, quand le groupe traversait la crise la plus dure de son histoire. « Aujourd’hui, dit-il, le voilà qui se révèle sous un visage que nous ne lui connaissions pas. Le voilà devenu un petit tyran au sein du groupe média Temps nouveaux, un petit dictateur, un petit chef d’état-major dans ce qu’il serait plus juste de qualifier de caserne et non de média.»
A la question de savoir s’il y a une représentation syndicale au sein du groupe, les journalistes se demandent encore par quel tour de passe-passe, une section UGTA a vu le jour, sans assemblée générale et sans élections. Elle reste bien silencieuse en ce moment…
Le sit-in durera une vingtaine de minutes. Le temps de selfies, de photos-souvenirs et de quelques « lives » sur facebook. Avant de se quitter, les journalistes protestataires entendent faire une tournée dans les rédactions qui n’ont pas pu rejoindre le sit-in. Après quelques palabres avec le service d’ordre, ils s’engouffrent dans l’imposante bâtisse. Réussiront-ils à convaincre le reste des rédactions ? Aujourd’hui, il y eut deux Temps et une Algérie. Le temps des uns et le temps des autres pour paraphraser Aznavour, celui qu’on veut nôtre semble dire les journalistes, fait de liberté et de presse juste et honnête, face à cette autre presse, faite de mensonges et de propos thuriféraires et bassement laudateurs. Ils se sont promis une seconde action, cette fois-ci à la maison de la presse Tahar-Djaout, ce mercredi 27 novembre à 11h. La corporation devra être au rendez-vous, au risque de se voir, au fil du temps, désavouer par un Ferré désappointé. Avec le Temps va, tout s’en va…
ZOHEIR ABERKANE