Des experts et des économistes réunis par le Care ont sonné le tocsin quant à une situation économique qui vire au cauchemar, plaidant pour la mise en place de mesures d’urgence pour faire face à la crise.
La situation économique sera très difficile, dans un contexte où la commande publique restera encore le “principal driver”. C’est du moins ce que prévoit Rachid Sekak, consultant international en finances, lors d’une rencontre-débat sur “Les priorités pour une feuille de route économique de l’Algérie à l’horizon 2022”, organisée, hier, à l’hôtel Sofitel à Alger, par le Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care).
En tirant la sonnette d’alarme, Rachid Sekak a averti que la “morosité économique” qui s’installe progressivement posera des problèmes très complexes à résoudre dans les prochains mois. “Dans le contexte judiciaire actuel, il sera difficile de trouver un contrôleur ou un trésorier de wilaya pour régler des situations de chantier”, soutient-il. Ce qui pourrait engendrer des retards et des arriérés de paiements domestiques.
Rachid Sekak évoque, également, le risque de resserrement de la liquidité bancaire et une plus grande frilosité des banques à cause de la hausse des prêts non performants. L’ancien DG de HSBC Algérie anticipe aussi un probable ajustement graduel du taux de change vers la fin de l’année et un élargissement à terme de la prime sur le marché parallèle des devises. Ce qui se passe actuellement sur ce marché, analyse-t-il, est un “épiphénomène qui n’a aucune signification économique”.
Selon lui, le taux de change parallèle va repartir à la hausse. “La récession est là”, constate Rachid Sekak, relevant la peur au sein de l’administration et des banques publiques. “Il faut rétablir la confiance et lutter contre cette peur qui risque de nous mener à la catastrophe”, a-t-il plaidé, soulignant la nécessité de rassurer les gestionnaires qui sont honnêtes et redonner confiance aux gens. “Sinon, nous allons le payer très cher”, a-t-il alerté.
Pour l’expert, les principaux enjeux consistent à “disposer d’une équipe crédible capable de reconstruire la confiance, courageuse et volontaire”, pour gagner du temps. Car la mise en œuvre d’un ambitieux programme de réforme pour la construction ex nihilo d’une véritable économie de production, diversifiée, prendra du temps. Rachid Sekak a esquissé certaines pistes de réformes citant, entre autres, la réduction des dépenses et la recherche de nouvelles ressources. Il plaide, entre autres, pour la suppression de la règle 51/49 qui, selon lui, “n’a servi à rien, si ce n’est à capter les rentes”.
L’engrenage de la récession
Pour Mouloud Hedir, consultant et expert en politiques commerciales, il serait hasardeux, à ce stade, de prétendre proposer une feuille de route pour l’économie algérienne. “Il ne semble pas que nous ayons pour l’instant pris la réelle mesure de l’ampleur des défis de tous ordres qui nous attendent”, a-t-il souligné, lançant un défi à quiconque de dire quel est le niveau de déficit auquel l’État algérien fait face.
Selon lui, le véritable déficit du budget algérien est beaucoup plus important que celui qui est affiché dans le cadre des lois de finances annuelles, telles que votées jusqu’ici par l’Assemblée nationale. À ce déficit facial, explique-t-il, il faut certainement ajouter d’autres sources de déficit non négligeables. Aussi, estime-t-il, avant d’évoquer une quelconque feuille de route, il est indispensable que soit établi un véritable état des lieux. Mouloud Hedir relève que des informations qui émanent du monde de l’entreprise “sont aujourd’hui de plus en plus alarmantes”.
Cela touche bien sûr, constate-t-il, toutes ces entreprises privées dont les responsables ont maille à partir avec la justice et dont les comptes se trouvent bloqués. Cela touche aussi des entreprises publiques qui, tel le cas de l’Eniem, n’arrivent pas à s’approvisionner en intrants. Il y a également le cas d’un secteur sensible, le BTP, qui pâtit logiquement des difficultés de ressources affectant les budgets d’équipements publics. Ou celui des désordres générés par les inconséquences de la politique industrielle publique dans un secteur comme celui de l’automobile.
“À cela s’ajoutent des difficultés récurrentes d’accès au crédit, les personnels des banques de la place étant tétanisés par le climat ambiant lié à cette explosion subite des affaires de corruption traitées par les tribunaux. Dans ce climat délétère, les crédits d’exploitation seraient délivrés au compte-goutte, tandis que les projets d’investissement sont, au mieux, reportés à plus tard”, indique M. Hedir. Ce dernier relève que “les signaux qui sont émis par les entrepreneurs laissent croire que notre économie est déjà entrée dans l’engrenage de la récession dont il lui sera difficile de sortir”.
Pour Mohamed Chérif Belmihoub, expert en management des organisations, l’assainissement des comptes publics est l’urgence du nouveau gouvernement. Les entreprises publiques, a-t-il relevé, ont reçu 220 milliards de dollars d’assainissement sur 30 ans. “Il ne s’agit pas de dresser un tableau noir”, précise le président du Care, Slim Othmani. Il s’agit, souligne-t-il, “d’éveiller les consciences, de provoquer un sursaut d’orgueil, comme l’a fait l’entraîneur Belmadi, pour que la crise économique soit prise au sérieux à tous les niveaux de la société”.
Meziane Rabhi