Les notes de conjoncture et autres rapports de situation, qu’ils émanent d’institutions nationales, telle la Banque d’Algérie (BA), ou internationales, à l’exemple de la Banque mondiale, se suivent et se ressemblent, avec un degré d’alerte allant crescendo, à chaque fois, quant à l’état de notre économie qui, il faut le souligner, fait l’objet d’inquiétudes majeures de la part des spécialistes «neutres» depuis bien avant le soulèvement populaire du 22 février.
A partir des données fournies en milieu de semaine dernière par la Banque d’Algérie sur l’état des réserves de change, il est loisible de conclure après un simple calcul qu’à l’issue de cette année, ces mêmes réserves devraient afficher un solde à moins de 70 milliards de dollars.
Un chiffre qui a de quoi susciter la panique surtout que, en tout premier lieu, on ne peut pas dire que les décriées autorités du pays brillent par une grande ingéniosité dans leur gestion comme l’illustrent les «mesurettes» pour, par exemple, parer au commerce extérieur toujours aussi défavorablement déséquilibré et une balance des paiements en déficit chronique. Un état de fait qui ne peut être que propice à l’effilochement des réserves de change qui, rappelons-le si besoin est, ont été soulagées de plus de 110 milliards de dollars entre 2013 et fin 2018.
Les réserves de change, selon le dernier bulletin de la Banque d’Algérie, sont donc passées à 79,88 milliards de dollars (mds USD) il y a près de six mois de cela, alors qu’elles affichaient 97,33 mds USD à fin 2017. Une diminution de 17,45 mds USD qui s’est avérée supérieure au déficit du solde global de la balance des paiements ; la dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar entre décembre 2017 et décembre 2018 ayant eu un effet négatif inévitable d’une valeur de 1,73 mds USD, nous expliquait la Banque d’Algérie dans sa note de conjoncture datée de la semaine dernière pour, ensuite, éclairer notre lanterne sur le fait que «les diminutions annuelles des réserves de change, liées aux déficits du solde global de la balance des paiements, traduisent l’excès de la dépense intérieure brute de l’ensemble des agents économiques sur le revenu national», ce qui veut dire en des termes plus accessibles à tout le monde : un excès des importations sur les exportations.
Dans sa note de conjoncture assortie de l’analyse de la situation et des mesures à préconiser, la Banque d’Algérie est arrivée à la conclusion selon laquelle les déséquilibres sont dus aux importants déficits des finances publiques.
Alors, afin de parer à la diminution des réserves de change, des efforts d’ajustement soutenus deviennent nécessaires, préconise-t-elle en insistant notamment sur l’ajustement budgétaire pour rétablir la viabilité de la balance des paiements et, donc, limiter l’érosion des réserves de change. La Banque d’Algérie ne le dit pas, du moins pas aussi ouvertement qu’elle le requiert, mais la situation est grave, comme le laisse entendre d’ailleurs la Banque mondiale à travers ses prédictions sur les indicateurs majeurs de notre économie. En effet, à la fin de cette pénible année, la croissance du PIB réel devrait être de 1,9% alors que l’inflation devrait être contenue, pronostique l’institution de Bretton Woods qui, en revanche, et comme le soutiennent depuis un bon moment déjà des spécialistes nationaux, s’attend à une aggravation des déficits budgétaire et courant.
Ceux-ci devraient atteindre respectivement 8,5 et 8,1% du PIB, selon la Banque mondiale qui met en exergue l’effet immédiat d’un prix du pétrole bas. Telles sont les prévisions de la Banque mondiale pour l’Algérie qui, dans son rapport de suivi de notre situation économique, publié mardi dernier, relevait que malgré une augmentation substantielle du budget de l’État et un prix du pétrole plus élevé qu’attendu, le ralentissement marqué de la production d’hydrocarbures (4,2%) a entravé la reprise de la croissance en 2018.
La BM estime que cette dernière se situait à 1,5%, alors que des projections établies en octobre dernier miroitaient une croissance à 2,5%, avant que l’ampleur de la crise subie de plein fouet dans la production d’hydrocarbures ne vienne remettre en cause les prédictions. Donc, si l’on doit se fier à la Banque mondiale, la croissance du PIB réel est attendue à 1,9% à la fin de l’année en cours alors qu’à moyen terme (2020-2021), la croissance hors hydrocarbures sera freinée par la rationalisation des finances publiques. Les recettes des secteurs hors hydrocarbures apporteront une certaine marge de manœuvre pour réduire l’ampleur des coupes budgétaires.
De ce fait, une légère baisse du déficit budgétaire est attendue (5,1% du PIB en 2020 contre 4,0% en 2021). «Ce compromis entre maîtrise des dépenses et accroissement des recettes débouchera sur une croissance amorphe de 1,7% en 2020 et 1,4% en 2021», établit la BM qui conditionne la baisse du déficit courant par la conduite de réformes structurelles sur le plan des subventions et du climat des affaires. Et d’avertir que «même si les pouvoirs publics s’emploient à diversifier l’économie et donner une plus grande place au secteur privé, notamment en attirant des investisseurs étrangers, peu d’améliorations sont prévues à court et moyen terme, ce qui devrait limiter l’ampleur des créations d’emplois».
De sombres perspectives donc qui appellent des solutions d’urgence comme le préconise l’économiste Mustapha Mekideche qui, en guise de solution structurelle, conseille de «relancer la croissance en termes d’investissement et de développer un secteur privé qui ne doit pas être biberonné à la rente ou attaché à la proximité du pouvoir politique pour faire plus d’argent. Le secteur privé doit être dans la compétition et offrir des biens et des services concurrentiels.
Si la transition politique est courte et si un pouvoir légitime se met en place, avec des percées démocratiques, cette solution peut être adoptée et on peut, à moyen terme, être optimiste», confie-t-il au journal en ligne TSA dans un entretien où il livre sa conviction que le recours à l’endettement extérieur est inévitable même si on allume d’autres moteurs de la croissance.
Un tabou que Mustapha Mekideche n’hésite pas à démonter, donc, en motivant son avis par le fait que «les entrées en devises ne seront pas suffisantes pour prendre en charge les besoins du pays. Cette option est, à mon avis, incontournable.
On peut avoir des projets créateurs de devises, c’est-à-dire aller vers des investissements dont une partie significative est exportée, ce n’est pas le cas jusqu’à maintenant en dehors des projets qui sont dans le secteur de l’énergie ou des phosphates, comme ce fut le cas dernièrement. Par exemple, pour l’industrie automobile, le business model actuel ne tient pas la route parce qu’on s’est contenté d’importation de kits sans aucune exportation. L’équilibre en devises sur cette activité ne peut pas être réalisé sur les cinq ou les dix prochaines années.
Il faut donc attendre dix ans pour qu’on puisse exporter d’une manière significative. Je pense qu’il est nécessaire de réexaminer toutes ces politiques sectorielles à l’aune des contraintes de plus en plus importantes qui vont peser sur nos équilibres intérieurs et extérieurs».
C’est dire donc si le pays est en besoin urgent d’autorités légitimes, et surtout jouissant de toutes les compétences requises, pour conduire les réformes immédiates et nous éviter le pire.
Azedine Maktour