Six mois après l’attentat de Québec, des musulmans doutent de leur exil

Six mois après l’attentat de Québec, des musulmans doutent de leur exil

L’attentat du 29 janvier qui a fait six morts et plusieurs blessés au Centre culturel islamique de Québec a laissé des musulmans dans un immense désarroi. Leurs concitoyens les acceptent-ils réellement ou les tolèrent-ils seulement? La réponse n’est pas claire pour tous.

Un texte de Cathy Senay

« Je ne suis pas forcément un citoyen musulman québécois, mais je suis un étranger musulman dans la ville de Québec », confie Boufeldja Benabdallah dans sa résidence du quartier Saint-Sacrement.

« Ça m’a vraiment abasourdi. Ça m’a vraiment donné un coup de massue sur la tête. » La fusillade a été d’une telle violence que depuis ce jour, il a des doutes sur son « choix d’exil ».

« Tout ça, c’est une gifle. Cela veut dire que quand on faisait nos prières, on nous tolérait uniquement. Et la tolérance, c’est une prétention de l’autre. »

48 ans à Québec et le sentiment d’être étranger

Jeune étudiant algérien, Boufeldja Benabdallah est arrivé à Québec à la fin des années 60, poussé par « mai 1968 » et porté par le sentiment de « découvrir le monde et de changer le monde ».

En 1972, avec des amis de différentes nationalités, il met sur pied l’Association des étudiants musulmans de l’Université Laval. En 1985, 13 ans plus tard, il crée le Centre culturel islamique.

Après 48 ans à Québec, M. Benabdallah a l’impression de ne pas sentir chez lui. « Et ça, c’est une grande, grande déception. »

Le débat sur la charte des valeurs il y a quelques années, l’attaque au Centre culturel islamique et le refus du projet cimetière musulman à Saint-Apollinaire à la mi-juillet lui font sentir que tous les efforts déployés pour sensibiliser les gens à la religion musulmane et à la diversité ont été vains.

« Tout compte fait, ça veut dire que je dois retourner à la table à dessin. Et je dois continuer de réfléchir, même si je suis encore blessé et j’ai un sentiment d’avoir perdu mon temps. »

Selon lui, il revient maintenant au gouvernement québécois de poser des gestes concrets. « La culture doit jouer un rôle […] Et il faut échanger le plus souvent possible pour encore mieux se comprendre. Si ça prend 50 ans, ça prendra 50 ans. »

De petits gestes

Zakia Zoukri a déjà organisé deux pique-niques pour toutes les familles touchées par l’attentat, pas seulement pour celles de la communauté musulmane.

Elle en planifie un troisième pour septembre. « Mes pique-niques coïncident toujours avec un dimanche (l’attentat ayant eu lieu ce jour-là). Au lieu d’un dimanche noir, c’est un dimanche d’espoir. »

Cette couturière de métier finance ses pique-niques avec la vente de t-shirts qu’elle a confectionnés. A-t-elle peur encore aujourd’hui comme plusieurs autres musulmans de se rendre au Centre culturel islamique de Québec?

« Non. Ça me donne encore plus de courage de me rendre à la mosquée. Je suis musulmane. Je suis Québécoise. J’ai le droit de pratiquer ma religion même avec ce qui est arrivé. Je ne crains rien. »