Le poète visionnaire avait prédit il y a un demi-siècle ce que nous vivons aujourd’hui.
Slimane Azem aurait eu 99 ans, hier, mardi 19 septembre. Ce grand poète visionnaire qui a marqué indélébilement la langue amazighe de son empreinte a toujours vécu son pays natal comme souvenir d’une enfance troublée. Des souvenirs d’une guerre atroce qui n’a pas fini de le tourmenter jusqu’à la fin de sa vie. Dda Slimane a marqué son siècle par son verbe tranchant trempé dans les arcanes de la vérité. La poésie de Azem tranche catégoriquement avec les mots dénudés décrivant la vie superficielle des communes. Elle va au-delà. Son verbe puise dans les tréfonds de l’histoire de son pays.
Dda Slimane est né dans un village mythique de la Kabylie. L’enfant qui va opérer la mue de la poésie kabyle est né à Ighil Imoula, dans la région des Ouadhias dans une période où la prise de conscience nationaliste était en gestation. Tout comme les jeunes de sa génération, il prendra le chemin de l’émigration. Mais, très tôt, le jeune Slimane se sentira épris de la poésie et de la musique. Ses premiers vers annonceront déjà un poète visionnaire dont le regard transcendera les murs du temps. Dda Slimane sera célèbre pour ses paroles qui ouvrent les voies de ceux qui se sentent égarés dans les méandres d’un quotidien fait de misère et de tourments. La vie est dure pour les siens, mais ses paroles l’adouciront par la sagesse qu’ils portent.
Slimane Azem a connu les souffrances de l’exil. Aux premières pétales de l’Indépendance, le jeune n’aura pas le temps de cueillir les roses. Ses détracteurs ne lui laisseront pas le temps de sentir les effluves de la liberté retrouvée. Les portes qui s’ouvraient devant l’Algérie se refermaient paradoxalement devant ce grand poète qui a chanté en ces temps de guerre, Fegh ay ajrad tamurt-iw. Après l’indépendance, le poète sera banni et interdit de tous les moyens de communication dont jouissait son pays, l’Algérie. A la Radio nationale, Chaîne 2, ses chansons ne passaient plus. Le même sort lui était réservé à la télévision.
Pis encore, le poète sera interdit d’entrée dans son propre pays. Il portera les stigmates de cette décision jusqu’à la fin de sa vie. D’ailleurs, il mourra dans l’exil un certain 28 janvier de l’année 1983 à l’âge de 64 ans.
L’exil que lui avaient infligé les siens, les Algériens, après l’indépendance sera plus dur que tous les maux subis lors des années de la colonisation. Les jours sont très longs et trop lents, loin de la fontaine de son village dont il rêvera souvent:
Ay assas n tala
Aqli-yi deg yir hala
ul-iw I mena d tamurt
zehr-iw inna d alla
Dans cette chanson, le poète incriminera le sort. Le poète trouvera une panacée aux maux dans les mots. Toute sa vie, il a refusé de réclamer la levée de la décision de l’interdiction qui l’a frappé. Loin des yeux, près du coeur. Slimane Azem chantera son pays en révélant toute sa splendeur. Il n’a pas vécu dans son pays mais il l’a porté dans son coeur. Le poète a fini même par devenir une source de sagesse des anciens. Ses chansons sont écoutées dans l’émigration et dans le pays. L’interdiction qui l’a frappé n’a pas empêché ses cassettes d’arriver dans toutes les maisons. Ses poèmes, ses paroles et ses conseils sont sur toutes les bouches. Les gens y trouvaient des enseignements précieux pour leurs vies. Slimane Azem a été plus présent parmi les siens que tous ses pourfendeurs réunis. N’est-ce pas une revanche de la justice divine sur l’injustice des hommes?