INES DALI
La situation politique de l’Algérie devient de plus en plus tendue, même si les marches, notamment celles du vendredi, continuent de se caractériser par le pacifisme qu’on leur a connu depuis le 22 février dernier. Force est de constater que le pouvoir et le peuple ne sont toujours pas sur la même longueur d’ondes.
Le bras de fer entre les deux parties tend à s’éterniser et les compromis ne semblent pas à l’ordre du jour. Une situation qui, si elle venait à perdurer, pourrait faire craindre le pire pour le pays, de l’avis de Sofiane Sekhri, politologue et professeur à l’Université Alger 3.
Chaque semaine, à l’occasion des marches du vendredi, le ton monte d’un cran et les revendications également. Parallèlement, l’offre de dialogue du chef de l’Etat Abdelkader Bensalah et celle du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah ne trouvent pas preneur. Est-ce à dire que le pouvoir politique ne donne pas de signes convaincants de sortie de crise qui, de l’avis de tous, n’a que trop duré ? Il est vrai que la crise ne devrait plus s’éterniser et qu’une issue dans les plus brefs délais serait «salutaire» pour le pays, selon M. Sekhri
«Je comprends qu’il y ait des enjeux et des défis au niveau national, je comprends la méfiance de l’Armée dans quelques points, je comprends aussi qu’il y a des menaces au niveau international et régional… Mais si le pouvoir persiste dans sa démarche de maintenir l’élection présidentielle pour le 4 juillet, sans avoir préparé l’encadrement nécessaire pour garantir un scrutin transparent et crédible, alors que le peuple a déjà exprimé son refus à maintes reprises, je crains fort qu’il y ait alors un risque de glissement.
Le peuple aura vu que ses revendications n’auront pas été satisfaites sur le terrain et que le gouvernement poursuit l’application de sa feuille de route. Il se peut qu’il y ait des dépassements et nous pourrions aller vers une situation d’instabilité», a déclaré M. Sekhri.
« Il ne faut aucune césure entre le peuple et son armée »
Il étayera son propos en donnant pour exemple la marche de vendredi dernier, où «on a entendu des slogans qui réclamaient le départ du chef d’état-major et ce, dans plusieurs régions du pays. Ce qui n’est pas une bonne chose car nous passons par une période très critique où il ne faut aucune césure entre le peuple et son armée. Au contraire, il faut qu’il y ait une communion entre le peuple et l’institution militaire».
Pour M. Sekhri, la situation est à prendre très au sérieux et l’«urgence» de trouver vite une solution n’est pas un mot vain. «Nous sommes dans une situation où nous courrons un grand risque de voir un grand décalage entre le peuple et l’institution militaire. Il faut y faire attention ! Quand on voit le peuple qui revendique le départ du chef d’état-major, je pense que c’est une revendication très risquée», estime-t-il. Le politologue tient à souligner que si le peuple est arrivé à formuler ce genre de revendications, c’est parce qu’il y a un retard immense dans la satisfaction de ses vœux et revendications. «Il fallait y répondre durant les premières semaines du Hirak et cette situation dure depuis plus de deux mois et demi.
C’est pour cela qu’il y a un grand risque de glissement et d’instabilité, alimenté par le fait qu’on veuille imposer l’élection du 4 juillet contre la volonté du peuple et, par conséquent, imposer le président de la République qui sera issu de cette élection», selon notre interlocuteur. Il ajoute que les conditions ne sont absolument pas réunies pour une telle élection, et vouloir l’organiser à tout prix voudra dire qu’«on va nous fabriquer un président contre la volonté du peuple. Un état de fait qui ne peut créer que de l’instabilité et des risques majeurs».
«Pour toutes ces raisons, j’appelle les autorités du pays, l’institution militaire, à opérer un changement -bien sûr en restant dans un cadre constitutionnel même si la Constitution a déjà été violée auparavant- à la tête du Conseil constitutionnel en mettant une personne consensuelle qui, elle, remplacera Bensalah qui devrait normalement démissionner. Le nouveau chef de l’Etat nommera un gouvernement qui aura une crédibilité et qui s’attèlera à mettre en place d’abord, la haute instance chargée de la préparation et de l’organisation de l’élection», suggère notre interlocuteur.
En notant, au passage, qu’un retard de quelques mois pour organiser l’élection présidentielle n’est pas grave, car «le plus important c’est qu’on aboutisse à un président qui aura été élu par la majorité du peuple algérien».