Sept personnes ont été tuées, dimanche au Soudan, lors de manifestations massives pour réclamer aux militaires un transfert du pouvoir aux civils, selon l’agence de presse officielle, la contestation ayant réussi le pari de la mobilisation malgré le déploiement des forces de l’ordre.
Les rassemblements de dimanche sont les plus importants depuis la dispersion, le 3 juin, d’un sit-in de manifestants devant le QG de l’armée dans la capitale, un drame qui avait fait des dizaines de morts et provoqué un tollé international. En prévision des manifestations, plusieurs pays et des ONG avaient appelé à la retenue. La police a tiré des gaz lacrymogènes sur des centaines de manifestants, arrivés à environ 700 mètres du palais présidentiel, lesquels répondaient à un appel d’un mouvement de la contestation à marcher vers cet endroit symbolique, selon un correspondant de l’AFP. Au moins 25 véhicules des redoutés paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) étaient arrivés en renfort, d’après lui. C’est au palais présidentiel que siège le Conseil militaire de transition, à la tête du pays depuis la destitution en avril du président Omar el-Béchir après des mois de manifestations monstres.
«Dictature militaire»
Citant le ministère de la Santé, l’agence de presse officielle Suna a fait état de sept morts et 181 blessés, dont 27 par balles, dans les manifestations de dimanche, sans détailler les circonstances des décès. L’agence a ajouté que dix membres des forces régulières ont été blessés, dont trois paramilitaires des RSF touchés par balle. Auparavant, un comité de médecins proche de la contestation avait fait état de cinq morts dans le pays. «Il y a également de nombreux blessés graves touchés par les balles des milices du Conseil militaire», d’après la même source. Le numéro deux du Conseil a affirmé de son côté que des «snipers» avaient tiré près d’un hôpital militaire d’Omdourman. «Ils ont tiré sur trois paramilitaires des RSF et sur peut-être cinq ou six citoyens», a dit le général Mohammed Hamdan Daglo, lors d’une allocution retransmise à la télévision publique. Aux cris de «Pouvoir civil, pouvoir civil», les Soudanais avaient manifesté plus tôt dans plusieurs villes, à l’appel de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation. Brandissant des drapeaux soudanais et faisant le signe de la victoire, hommes et femmes ont envahi les avenues de la capitale, scandant leurs slogans au rythme des applaudissements et des klaxons des automobilistes. «Nous voulons un Etat civil qui garantisse notre liberté.
Nous voulons en finir avec la dictature militaire», a déclaré une manifestante, Zeinab, 23 ans. «Personne n’a donné un mandat au Conseil militaire», a lancé un manifestant qui n’a pas voulu donner son nom. A Khartoum et dans les villes d’Omdourman, de Port-Soudan, d’Al-obeid, de Madani, de Kassala et de Khasma el-Girbade, les manifestants ont scandé des slogans révolutionnaires, selon les témoins. L’Association des professionnels soudanais (SPA), un important mouvement de la contestation, a parlé d’une «mobilisation massive sans précédent». La mobilisation de dimanche est d’autant plus impressionnante que le Conseil militaire bloque depuis des semaines l’accès à internet, outil stratégique pour rallier dès le début du mouvement de contestation inédit en décembre 2018. En prévision des rassemblements, les paramilitaires des RSF avaient été déployés sur plusieurs places de Khartoum, à bord de leurs pick-ups chargés de mitrailleuses.
Gaz lacrymogènes
Les forces de sécurité ont également fait usage de lacrymogènes à Gadaref (est). La contestation a été déclenchée initialement par le triplement du prix du pain dans un pays pauvre à l’économie exsangue. Les manifestations ont rapidement pris une tournure politique en réclamant l’éviction du général Béchir, qui dirigeait le pays d’une main de fer pendant près de trois décennies. Epicentre de la contestation, le sit-in devant le QG de l’armée, entamé le 6 avril, a été dispersé dans le sang environ deux mois plus tard. Au moins 128 personnes ont péri dans la dispersion du sit-in et la dispersion qui a suivi les jours suivants, selon des médecins proches de la contestation. Les autorités ont fait état de 61 morts. Les RSF ont été accusées par les manifestants, des ONG et des experts, d’être à l’origine de cette dispersion. Dernièrement, les protestataires s’étaient contentés de petits rassemblements à Khartoum, parfois dispersés par les forces de sécurité. Malgré le bras de fer, les chefs de la contestation et le Conseil militaire se disent ouverts à une reprise des négociations, à travers une médiation de l’Ethiopie et de l’Union africaine, pour dessiner les grandes lignes de la transition à venir.