Le poète s’en va ! le 6 novembre 2014, le voyage dernier. Cher ami et écrivain Abdelwahab Meddeb, très tôt tu as décidé de partir. Tu nous quittes au moment où, plus que jamais, nous avons besoin de ta voix claire, de ta parole prophétique et de ton mot réfléchi, poétiquement sculpté. Le poète s’en va.
L’audace intellectuelle que tu incarnais s’éteint. Tu étais, depuis trente ans, peut-être un peu plus, le passeur de la tolérance, des valeurs de vivre ensemble, le gardien de la lumière. Cher ami Abdelwahab Meddeb, en silence, très tôt tu as décidé de partir, à l’heure où le monde musulman est en plein chaos, en désordre politique et intellectuel. Tu fais ta valise au moment où, au nom de califat islamique, des sectes islamistes sèment la terreur. Retour de la saison de l’obscurité et du fanatisme.
La dernière fois où nous nous sommes rencontrés, c’était au mois de juin 2013, à la Comédie du livre de Montpellier. En présence de Fouad Laroui, Mohamed Berrada,Yahia Belaskri, Wassyla Tamzali, Habib Tengour, Tahar Bekri, Malek Chebel, Abdellatif Laâbi, Anouar Benmalek et d’autres membres de la tribu de l’écriture et enfants de l’encre, longtemps tu nous a parlé de la Tunisie que tu adores, de son nouveau parcours politique menacé par toutes les incertitudes. Mais tu étais optimiste. Et ton optimisme trouvait son socle dans la force et la détermination de la femme tunisienne.
La main sur le cœur, tu suivais au quotidien la vie politique de ton pays, la Tunisie, et tu portais ton analyse de la transition démocratique. Dans ta lecture, tu étais le poète, l’apôtre et l’islamologue conjugué au politologue. Tu savais que l’islam politique en Tunisie n’a pas sa place, n’a pas d’avenir. Il consomme ses derniers souffles. Que seules, les forces démocratiques et libérales produiront le visage de la Tunisie de demain. La nouvelle Tunisie. Dans tes réflexions, tu n’étais que l’arrière-petit-fils d’Ibn Rochd. L’arrière-petit-fils spirituel d’Ibn Arabi. En Occident où tu vivais, tu étais le messager pour un autre Islam, l’islam humaniste. En Europe où l’islamophobie monte, tu représentais aux côtés de Mohamed Arkoun et Djamel Eddine Bencheikh les soldats pour un islam de lumière, sans démagogie, sans concession, sans orientalisme et sans exotisme aucun. Le poète s’en va ! le voyage dernier.
En 1989, pour la première fois, j’ai eu le plaisir de te recevoir en invité dans mon émission Akwas, que je produisais et animais pour le compte de la Télévision algérienne. Tu nous as parlé, avec brio, d’Ibn Rochd maître de la raison et d’Ibn Arabi cheikh el-Irfane des illuminations. En 2007, je t’ai accueilli aux débats de la Bibliothèque nationale. C’était à l’occasion de la sortie de ton livre “Contre prêches”. Auteur de “La Maladie de l’Islam”, tu es parti, et l’Islam est toujours gangréné ! Les musulmans tuent, s’entretuent en brandissant, les uns comme les autres, des versets coraniques ou des hadiths prophétiques. Et tu étais triste, tu répondais à ces tueries par tes propos autour de l’islam des lumières, celui des philosophes et des poètes éclairés. Tu étais casseur de tabous. Casseur plein de savoir et de questionnements. Tu représentais, pendant trente ans, peut-être un peu plus, le pont solide jeté entre les intellectuels démocrates européens et leurs collègues maghrébins, arabes et musulmans. Le poète s’en va.
Ta place restera vide. Ton départ fut très tôt, précoce. Ta voix radiophonique intellectuelle, tes écrits, tes romans, tes traductions incarnaient la lumière qui fait reculer d’un pas l’obscurité dans le monde moderne. Adieu mon ami Abdelwahab Meddeb. Adieu l’écrivain du cœur, de l’âme et de la raison. Adieu l’homme libre. Ce soir, la littérature maghrébine est en deuil.
A. Z.