L’opération de l’éradication des bidonvilles et de l’habitat précaire, engagée depuis dimanche par la circonscription administrative de Chéraga, à l’ouest d’Alger, a tourné au drame : un bon nombre de familles se retrouvent sans toit confrontées aux égarements et aux dangers de la rue.
Lundi matin aux sites d’Iguebal, Farina, entrée de Club des Pins et aux Dunes, les bulldozers poursuivent l’opération d’anéantissement des habitations. Les constructions qui laissent voir un tableau désolant défigurant le paysage tout autour des résidences d Club des Pins, sont complètement rasées, tandis que des enfants ramassent tout ce qui est en fer, question de gagner quelques sous en revendant les plaques et barres aux recycleurs.
Les résidents, quant à eux, sont relogés au niveau de Chéraga, alors que d’autres ont été contraints, la veille, de quitter ces lieux, hormis une famille qui n’a trouvé de choix que de s’installer sur le trottoir de la rue menant vers le fameux Club des Pins après que les démolisseurs ont réduit sa maison à un tas de cailloux.
Mohamed, fils de chahid, occupe ce lieu nommé El Hofra (trou) depuis une quinzaine d’années après avoir été menacé de mort par les terroristes à Ouled Aich (Blida) où il a échappé de justesse à l’explosion d’une bombe placée dans sa boutique.
Depuis cet attentat, lui et sa famille ont tout vendu avant de s’installer ici, à quelques mètres des résidences d’État espérant Des autorités un toit décent. Mais depuis dimanche, l’espoir lui tourne le dos et le clou est davantage enfoncé. Toutes les portes leur sont fermées, hormis celles qui s’ouvrent vers la rue. « Ils nous ont menti. Ils nous ont forcés de quitter notre maison.
Ils nous ont dit que nous serons relogés dans un appartement dans la nouvelle cité de Amara. Une fois arrivés là-bas, le nom de mon père ne figure pas sur la liste. Nous n’avions d’autre choix que de regagner, de ce fait, notre demeure que nous trouvons réduite à un tas de grabats », raconte l’une de ses filles, pancarte brandie sur laquelle nous pouvons lire : « fils de chahid mis à la rue ».
À quelques mètres d’El Hofra, le site des Dunes qui, aujourd’hui, n’est plus qu’un terrain rasé où nous n’avons trouvé aucune âme qui vit. Selon un citoyen résidant à quelques foulées du site en question, si certaines familles étaient relogées dans de nouveaux logements, 4 sont catégoriquement exclues de cette opération.
Ces dernières étaient évacuées de force à coups de matraque, eau chaude et bombes lacrymogènes. Les forces de l’ordre, raconte-t-il, ont usé de toute leur force pour les faire sortir de leurs maisons lesquelles sont, comme vous le voyez, en ruine.
Un des pères de famille, poursuit-il, a tenté même de faire exploser une bouteille de gaz afin que les forces de l’ordre renoncent à leur mission, mais en vain. Yamina et Ghania, femmes au foyer, rencontrées devant le siège de la daïra de Chéraga, ne savent à qui se lamenter. Des fiches de recensement datées de 2008 et autres papiers brandis à la main, elles ne trouvent pas les mots pour qualifier le malheur qui leur tombe dessus.
« C’est de la « hogra ». Nous sommes des Algériens nous aussi, nos dossiers n’étaient sans doute pas traités. Ils nous ont mis à l’écart sans pour autant savoir pourquoi, alors que nos papiers prouvent que notre sort n’est pas celui d’une famille à qui on lui a anéanti sa demeure et se retrouver du jour au lendemain dans la rue », dira Yamina qui ignore où pourra-t-elle déposer son recours.
À Haï Naftal, El Qaria, nous avons trouvé 9 familles poussées à en avoir comme toit, qu’un ciel bleu de ces journées d’été. Après avoir placé leurs affaires dans une cour d’une ancienne école, ces familles sont contraintes de passer leurs nuits exposées à tous les aléas et les dangers de la rue.
Privées de tout ce qui est nécessaire, les femmes, vieilles, filles et enfants que nous avons rencontrés sur le lieu, réclament au minimum un interlocuteur avec qui discuter de leur situation désolante. Le tableau est sinistre, décevant et frustrant. Ces familles ont perdu leurs demeures. Ces enfants ont perdu leur sourire d’enfance.
Ces gens sont touchés dans leurs dignité et ne comprennent pas ce qui leur arrive ni comment sont-ils arrivés à cette situation. Ils ont la rage au bord des lèvres. « Les responsables de l’administration ont fait recours à la force sans aucun avertissement préalable, est-ce juste cela ? » déplore une des femmes qui n’a pas pu contenir sa colère et qui ajoute « je pourrai me déprimer, d’un moment à l’autre.
Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, nous sommes des Algériens, nous n’avons pas besoin de leurs appartements, nous voulons un toit pour nos enfants ». « Pourquoi on en est là ? C’est ça l’Algérie ? C’est ça notre part dans ce pays : occuper la rue?», s’interroge sa voisine.
Le siège de la daïra fermé aux citoyens !
Afin de faire écho aux doléances de ces citoyens et avoir les réponses à nos questionnements, nous avons décidé de nous entretenir avec le wali délégué.
Mais à notre grand étonnement, le siège n’a été ouvert ni pour nous ni à l’attroupement de citoyens que nous avons rencontré juste devant l’entrée. Les dénonciations nous pleuvaient de partout avant même de nous présenter. Chacun tente de faire entendre son mal.
Ces citoyens étaient profondément consternés et blessés dans leur dignité. Ils disent que l’attribution de ces logements ne répond à aucun critère.
Si certains de ces citoyens, les bénéficiaires, ont exprimé leur mécontentement, estimant que les appartements qui leur ont été attribués ne répondaient pas à leurs besoins, ou bien ils ont trouvé que leurs nouvelles résidences sont très éloignées des lieux de travail, d’autres sont dépossédés du peu qu’ils possèdent : les maisons de fortune.
Les voix furieuses de ces hommes enfoncés s’emmêlent et se confondent à celles de ces femmes épouvantées pour dire unanimement qu’ils sont convaincus que certains membres de l’administration locale sont impliqués dans la favorisation d’intrus sur les résidents qui ont vu leurs enfants naître au coeur de ces sites.
Le comité du quartier des Dunes n’a pas échappé, lui aussi, aux accusations des citoyens. Selon eux, il a induit l’administration locale en erreur, « le recensement et les informations recueillis par ce comité sont erronés ou ne sont pas pris en compte par les services concernés ».
Pour rappel, le wali délégué de la circonscription administrative de Chéraga, Kamel Beldjoud, rencontré au premier jour de cette opération, n’a pas nié l’existence de ces familles exclues qui, selon ses dires, « elles n’ont pas été relogées, car elles sont étrangères aux sites au moment du recensement, ou bien, suite aux résultats de nos investigations et enquêtes, il s’est avéré qu’elles possèdent des biens immobiliers ailleurs.
Sur les 12 000 familles recensées, environ 3 300 familles ont été relogées depuis que l’opération d’éradication de l’habitat précaire à Alger a été lancée. Chaque opération de relogement a son lot d’exclus arbitrairement. Un bon nombre de familles sont réduites à la clochardisation. Un remède beaucoup plus pire que le mal.
Hamid Mohandi