Taoufik Makhloufi a renoncé à être à nouveau champion olympique. C’est ce qui le rend plus fort cet été. Il y’a un an aux championnats du monde de Pékin, il n’avait d’obsession que de défendre son statut de champion olympique.
Péché d’orgueil et erreur tactique. Il a assumé un rôle factice de favori. Lancé son accélération juste après la cloche et le gros de son effort dans la ligne opposée. En tête aux derniers 100 m, 5e sur la ligne. L’air de la chanson paraîtra bien différent à l’appel du starter cette nuit du lundi au mardi.
D’abord parce qu’il ne s’agit pas du 1500 m mais du 800m. Une différence qui, en ce moment, met mieux en valeur la vitesse terminale du Miler algérien couronné d’or à Londres en 2012 sur 1500m. Il lui a régulièrement manqué 50 m de relâchement pour briller sur le kilomètre et demi depuis une olympiade.
Ensuite parce que l’histoire du podium du 800 m est beaucoup moins linéaire que celle du triple tour de piste et trois cent mètres. Un outsider gagne à peu près une finale sur trois aux 800 m. La liste des favoris grillés sur le fil n’est pas anodine Kiprigut (Kenya) à Mexico 68 devancé par Doubell (Australie), Coe (GB) en 1984 battu par Cruz (Brésil) ou plus récemment Kipketer (Danemark) crucifié à Sydney 2000 par Schuman (Suisse), pour ne citer que les plus augustes.
Il faut bien se comprendre. Makhloufi participe à un 800 m dont la médaille d’or a déjà été attribuée par les bookmakers, les spécialistes et les athlètes eux mêmes. Le kenyan David Rudisha est seul au monde. Seul contre le chrono depuis cinq ans. Champion olympique et recordman du monde. Seul dans l’histoire sous les 1m41 secondes sur le double tour. La concurrence est deux secondes derrière en performance pure. Sur une fin de ligne droite cela correspond à un trou dans le cadrage TV.
La question n’est donc pas posée. Nous ne sommes pas dans l’année de l’outsider. Le favori est gargantuesque. S’il ne mange pas cette course c’est qu’il aura été plaqué au sol par un pilier des All Blacks. Le génie du sport est qu’il fait perdre les bookmakers. A ce stade Taoufik Makhloufi doit l’oublier. Et se caler sur sa nouvelle paix intérieure. Viser une médaille avant de chercher l’or. Il n’y a que deux médailles à prendre sur le 800 m l’argent et le bronze. Ce rôle d’outsider convient mieux au champion algérien. Il le fait courir plus juste. En harmonie avec ses qualités de finisseur, plus que de coureur de train.
Le scénario de la finale olympique du 800m de la nuit du lundi au mardi est déjà écrit pour ses 600 premiers mètres. David Rudisha va servir de lièvre à lui même. Il fera la course en tête. Et propose un dilemme cornélien à la concurrence. Tenter de le suivre au plus près est le danger absolu. Rudisha peut décider de courir sur des bases de 1m42s. Asphyxie garantit pour les téméraires trop collants. En même temps, le sillage du stratosphérique Kenyan peut aussi provoquer un dépassement des records personnels de ses poursuivants. Et punir les autres. Les attentistes.
Taoufik Makhloufi a le vécu de champion qui lui fera transcender ce dilemme du 800m. Suivre ou laisser partir. Il sait que son nom ne figure pas dans la liste des 40 meilleurs chronos de tous les temps sur la distance. Mais que le podium sera accessible autour des 1m43,50. C’est à dire un peu en dessous de son record personnel. Il devra à la fois être patient et se dépasser. Saïd Djâbir Guerni était devenu maître dans cet art. Il ouvre les portes de l’allégresse. Sans pilier des All Blacks.