Accusé de soutien au terrorisme, le prêcheur salafiste Sven Lau, qui a fondé la « police de la charia » en Allemagne, comparaît devant la justice à partir de mardi. Retour sur la trajectoire d’un ex-pompier devenu l’un des visages de l’extrémisme.
L’Allemagne juge le plus connu de ses prêcheurs salafistes à partir du 6 septembre. Sven Lau, devenu célèbre pour avoir instauré une “police de la charia” dans la ville de Wuppertal en 2014 (dans la vallée du Rhin), est poursuivi pour soutien au terrorisme.
L’acte d’accusation de 80 pages détaille comment ce converti allemand de 35 ans, qui se fait appelé Abou Adam, a poussé des centaines de jeunes musulmans vers l’islam radical à travers ses prêches sur Internet, et de quelle manière il a organisé le départ de deux Allemands pour rejoindre les rangs en Syrie du groupe armé terroriste Jaish al-Muhajireen wal-Ansar en 2013. Il est également soupçonné d’avoir fait parvenir des lunettes de vision nocturne et des médicaments à ce mouvement actif aux côtés du groupe terroriste État islamique entre 2012 et 2015. Des accusations contestées par l’avocat de Sven Lau qui qualifie l’enquête de “château de cartes prêt à s’effondrer” et affirme que c’est le procès de la dernière chance pour les autorités qui tentent sans succès de faire tomber son client depuis des années..
“Clown de service” ou dangereux terroriste ?
Le prêcheur extrémiste intéresse en effet les services allemands de sécurité depuis longtemps. Sven Lau était déjà dans leur collimateur lorsqu’il enfile, en 2014, un veston orange et s’en va “conseiller” aux habitants de Wuppertal d’éviter l’alcool, la pornographie, les jeux de hasard. C’est l’autoproclamée et très éphémère “police de la charia”. Le gouvernement allemand s’était alors ému de cette opération de propagande.
Les médias, quant à eux, ont longtemps hésité à prendre au sérieux cet Allemand, étrangement accoutré qui expliquait à des fêtards qu’il ne fallait pas boire et qu’ils devaient se convertir à l’islam radical. D’autant que le prêcheur s’est officiellement distancié des actes de violence – tout en “comprenant” les jihadistes – et qu’il aime à rappeler lors des nombreux entretiens accordés à la presse qu’étant jeune, il “était le clown de service, plutôt bon au football”. Cet ancien pompier municipal, issu d’une famille catholique, a, pour la presse locale, plutôt l’étoffe d’un jeune cherchant à capter l’attention médiatique, qu’un Ben Laden.
Mais aux yeux des autorités, Sven Lau est un homme dangereux : il n’est pas devenu l’une des figures centrales du salafisme en Allemagne par hasard. Ce père de cinq enfants a une carrière de prêcheur fanatique. Il se fait remarquer pour la première fois en 2005, lorsqu’il fonde dans sa ville natale de Mönchengladbach (à une heure de route de Wuppertal) l’association musulmane Einladung zum Paradies (Invitation pour le paradis). Il y fait l’apologie du salafisme et le lieu devient rapidement “le centre en Allemagne de cette branche fondamentaliste de l’islam”, souligne le magazine Focus.
Clash des extrémismes
Les habitants du quartier multiplient les plaintes contre le très prosélyte Abou Adam au fils des ans. Des altercations ont lieu et Sven Lau est même interrogé par la police dans le cadre d’une affaire de violences avec coups et blessures en 2012. À cette époque, il se rend aussi à plusieurs reprises en Syrie et en Égypte.
Il finit par quitter Mönchengladbach pour rejoindre Wuppertal fin 2013, où officie déjà l’autre figure de l’islam radical en Allemagne : Pierre Vogel. À eux deux, ils vont transformer la ville en centre névralgique pour les salafistes. Sven Lau y fonde une école religieuse qui attire les plus extrémistes des musulmans en Allemagne. Ses prêches sur Internet connaissent un réel succès depuis son installation dans cette ville. Il devient réputé pour des “sermons qui jouent la carte des émotions et sont très efficaces auprès de jeunes en quête de sens”, explique un enquêteur au quotidien Frankfurter Zeitung.
Wuppertal devient rapidement une ville sous tension. L’extrême droite allemande voit dans l’activisme de Sven Lau le prétexte idéal pour des opérations coups de poing au nom de la lutte contre le jihadisme. Une milice “de protection de la ville de Wuppertal” voit le jour en réponse à la “police de la charia”. Mais le clash des extrêmes n’a finalement pas lieu. Sven Lau arrête ses “rondes” nocturnes affirmant qu’il voulait seulement “lancer un débat national autour des valeurs du salafisme”.
Suite à cet épisode, qui a eu un écho international, le prêcheur extrémiste fait profil bas. Mais il est trop tard : il est sous surveillance du service du renseignement intérieur qui boucle son enquête et interpelle Sven Lau en décembre 2015. L’homme risque jusqu’à dix ans de prison.