Symposium de l’Union africaine sur les victimes d’actes terroristes : Un début de reconnaissance après un long déni

Symposium de l’Union africaine sur les victimes d’actes terroristes : Un début de reconnaissance après un long déni

Cette rencontre, d’une durée de deux jours, a entamé ses travaux, hier, au niveau du siège du Centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme (Caert).

Pour la première fois, le point de vue des victimes et leur famille est pris en compte dans l’élaboration des politiques de lutte contre le terrorisme. Jusque-là, le rôle des associations des familles de victimes du terrorisme était considéré comme secondaire et même confiné dans un segment largement silencieux pour ne pas entraver les politiques de réconciliation nationale. “Ce symposium est une première action de l’Union africaine pour renforcer le rôle de ces associations”, a soutenu Francesco Madeira, représentant spécial de l’UA pour la coopération contre le terrorisme et directeur du Caert.

“C’est à nous, désormais, de travailler avec la société civile, pour que le terrorisme ne recrute plus parmi nous”, dit-il. C’est autour de l’axe “L’expérience des victimes et de leurs associations : défis et opportunités”, qu’ont été invités Cherifa Keddar, présidente de Djazaïrouna, Almas Elman du Centre pour la paix et les droits de l’Homme de Somalie, Fatma Zohra Flici, présidente de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme, et Mulmama Ambani, membre de l’Association des victimes du terrorisme au Kenya, à témoigner de leur chemin de reconstruction et de leur mobilisation contre les dérives extrémistes. Créée en 1996 et agréée une année après, l’association Djazaïrouna apporte un soutien moral, une assistance juridique, psychologique et médicale à une moyenne de 200 victimes par an.

Cherifa Keddar témoigne : “Sur une population d’un million d’habitants que compte la wilaya de Blida, le terrorisme a fait, depuis 1993, environ 20 000 victimes. Une situation qui a engendré des milliers de veuves et d’orphelins, traumatisés, sans ressources, ni soutien psychologique. Les femmes ont payé un lourd tribu. Certains ont fait l’objet, d’abord, de mariage de jouissance et, plus tard, elles ont subi l’enlèvement, le viol et l’assassinat de la part des islamistes qui se vengeaient des villageois.

Les viols étaient pratiqués avec une extrême cruauté et étaient utilisés comme une arme de guerre contre les femmes enlevées, car considérées comme un butin.” Elle-même, rescapée du massacre qui a ciblé sa famille, au domicile familial, dans la nuit du 23 au 24 juin 1996, elle raconte comment sa sœur avocate et son frère architecte de formation ont été torturés et assassinés, alors que sa mère, son autre frère et sa nièce ont survécu à leurs blessures. Pendant des années, le travail des associations des familles de victimes du terrorisme s’accomplissait dans un contexte de déni total.

La présidente de Djazaïrouna rappelle qu’ “au moment où les tribunes internationales et les plateaux télé étaient offerts aux représentants des terroristes pour s’exprimer, il était difficile pour leurs victimes d’exprimer leur douleur face à l’opinion publique internationale, sans être accusées de traîtrise ou de support du pouvoir et des généraux”. Le mouvement associatif n’a pas baissé les bras pour autant et a organisé plusieurs actions pour l’instauration d’une justice transitionnelle en Algérie y compris des manifestations en face du Palais du gouvernement, vite réprimées.

“Cette lutte m’a valu des menaces de licenciement de mon travail, ma seule ressource financière, et une tentative d’expulsion du logement de fonction, ainsi qu’une rétrogradation de mes fonctions suite à ma réintégration après un recours”, soutient Cherifa Keddar, qui espère que le symposium sera le premier jalon pour la consécration du droit de s’exprimer, de mémoire, le droit à la justice et vérité pour cette frange de la population. Autant de principes occultés par les textes d’application de la charte portant réconciliation nationale promulgués en février 2006.

“Les institutions des Nations unies et de l’Union africaine sont restées longtemps spectateurs face à ce déni de droit et à un texte qui consacre l’emprisonnement ferme de 3 à 5 ans, et le paiement d’une amende de 250 000 à 500 000 DA contre les victimes qui, par leurs déclarations, leurs écrits, ou autres, dénoncent ces injustices, ou revendiquent le devoir de justice, le devoir de vérité et le devoir de mémoire”, assène Cherifa Keddar. “Jusque-là, les victimes du terrorisme ont été une frange oubliée de tous”, dénonce, de son côté, Zohra Flici, présidente de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme (ONVT), qui réclame un statut particulier pour les victimes du terrorisme et l’instauration d’une journée internationale commémorative.

Elle plaide, aussi, en faveur d’une approche commune du mouvement associatif afin de faire adopter “une convention internationale et s’entendre sur une définition consensuelle du terrorisme”. Représentée dans 44 wilayas, l’ONVT s’est investi, avec des moyens limités, dans la prise en charge sociale des familles de victimes, palliant ainsi les carences de l’État dans le domaine. “Pour trouver les fonds de financement nécessaires à une prise en charge adéquate des victimes du terrorisme, il serait ingénieux d’utiliser les avoirs gelés des personnes et groupes terroristes”, propose Zohra Flici dont le mari, médecin, a été assassiné dans les années 1990. À noter qu’une conférence de presse avec le directeur du Caert sera organisée, cet après-midi, autour des conclusions de ce symposium, qui s’est tenu, dans une large partie, à huis clos.