Syndrome 1986 : doit-on s’en inquiéter ?

Syndrome 1986 : doit-on s’en inquiéter ?

La chute du prix de pétrole jusqu’à 37 dollars le baril, cette semaine, est aussi assourdissante que les excitations et les menaces des ex-généraux anciens gardiens du temple-système.

Ainsi, le premier souvenir qui nous revient à l’esprit, c’est la crise de 1986.

Peut-on comparer, en revanche, les deux périodes? Est-ce qu’il y a un risque que l’histoire se reproduise? Beaucoup d’observateurs, dans une démarche qui correspond à une analyse historique plus au moins cohérente, essaient de faire le lien entre les deux « crises ». Ils prédisent ainsi une issue catastrophique à cette conjoncture au bout de deux ou trois ans comme ce fut le cas en 1986 lors de la chute vertigineuse du prix de baril. Néanmoins, la comparaison entre les deux temps est difficilement convaincante voire peu sérieuse. Pourquoi ?

ASPECT ECONOMIQUE :

Parce qu’en 1986, c’est-à-dire, après à peine 6 ans du Chadlisme, le pays se trouvait dans une situation d’asphyxie financière très sévère. Endettements, extérieur et intérieur, pas moins de 25 milliards de dollars de dette extérieure, équivalente à plus de 100 milliards de dollars en monnaie courante d’aujourd’hui, déficit budgétaire intérieur et de la balance commercialeextérieure, une industrie qui n’arrive pas à se renouveler et donc des usines qui travaillent à perte, autrement dit en faillite générale, manque terrible de l’eau, à cause d’un très faible investissement dans le secteurdes ressources hydriques,et donc une agriculture très affectée et affaiblie, etc.

Souvent, dans mes propres analyses du sous-développement qui marque les pays du tiers monde, j’avance des causesendogènes et exogènes très complexes liées à plusieurs paramètres qui se sont accumulés pendant les siècles pour former des contraintes, assez sérieuses, qui freinent l’avancée de ces pays à une vitesse qui leur permet de sortir de cette condition de dénuement. Toutefois, l’imprudence de la gouvernance Chadli Bendjdid n’a pas arrangé les choses. « Pour une vie meilleure » est le slogan grandement affiché, au début de son règne, là où on a connu un gaspillage sans précèdent des ressources en devises. Certes, le peuple a mangé des kiwis et des bananes, un luxe à cette époque, mais pour une courte durée. Les grands projets d’infrastructures tels que les barrageshydrauliques n’étaient pas une priorité du gouvernement !

Bref, les gouvernants d’alors n’ont pas pu préparer le pays à un tel choc, sachant que le prix de pétrole aux débuts des années 1980 était aussi élevé qu’en 2008 ! Effectivement, un baril de Brentoscillait entre 20 et 30 dollars, l’équivalant de plus de 80 et 100 dollars actuels. Et, bizarrement, on n’a pas épargné de réserves de changes conséquentes ni même pas payer la dette !

Aujourd’hui, la situation est à l’opposé de cela. Au moins, au niveau de la quantité importante de réalisations en matière d’infrastructures, les barrageshydrauliques en est une illustration. Ce qui va aider le pays de continuer ses efforts, malgré la conjoncture difficile, pour arriver à l’autosuffisance dans les années à venir. Avec un endettement quasi nul, les réserves de changes également est un élément centrale dans la stratégie du Bouteflikisme. 151 milliards de dollars n’est pas une somme insignifiante, elle permettra au pays de résisterpendant plus de 6 ans avec un baril à 37 dollars. Il est vrai que l’impact de ces difficultés très importantes va être ressenti par une large partie de la population. Car, la dépense publique, qui représente la structure même de l’économie algérienne, est appelée à se réduire pour minimiser l’ampleur des déficits. Dès lors, le vrai défi du gouvernement c’est de répondre à ces limites, notamment sur le plan de l’emploi puisque le chômage va relativement augmenter. Mais le gouvernement a une large manœuvre où la grande protection sociale va tempérer les conséquences fâcheuses de ces réformes. Par conséquent, la question fondamentale à ce sujet bien précis, c’estla capacité du gouvernement à passer de cette grandegabegie de subventions pour tous,y compris pour les contrebandes, à une subvention plus ciblée et plus rationnelle qui vise les couches les plus vulnérables et les classes moyennes. La dernière proposition du ministre des finances sur des « ressources supplémentaires» à environ dix millions de salariés contre une libération progressive des prix subventionnés est une initiative qui mérite d’être considérée. Reste, la forme de ces « compléments de salaires » qui doit respecter la dignité des citoyens en évitant que cette protection sociale ne se transforme en une charité à travers des bons ou des cartes de ravitaillement! La manière la plus respectueuse c’est les virements bancaires.

ASPECT POLITIQUE :

Sur le plan politique, le contraste est éclatant. En 1986, le pays était sous un régime dictatorial, un parti unique sous l’ordre des militaires. La torture était monnaie courante, l’arbitraire et la « HOGRA » sans aucune liberté de paroles en sont les caractéristiques, des prisonniers politiques par milliers, etc. Les décisions économiques ou politiques se font à huis-clos. Personne ne savait ce que se tramait au sérail, parfois même pas le feu président Chadli ! Puis, par la force des choses et de l’oncle Sam, on a décidé d’ouvrir le pays au multipartisme, une ouverture sans lois, sans tabous, sans limites, ni régulation d’une autorité digne de ce nom, rien ! On a voulu être plus démocratique encore que les américains et les britanniques! Par naïveté ?La démocratie occidentale, qui est la référence en la matière, n’a jamaistoléré la liberté absolue, il y a eu toujours, des lois très contraignantes, des tabous, des interdits clairs et sans relâche. Tandis que le gouvernement Mouloud Hamrouche a « offert » des agréments à tout le monde, quiconque peut faire de la politique. Y compris ceux qui réfutent la politique, ils la considèrent comme étant péché! Le peuple par conséquent a prissa vengeance contre ce régime.On connait la suite de l’histoire. Peut-être ce n’est pas encore le moment de faire le bilan de cette période douloureuse de l’histoire de notre pays, les plaies sont encore ouvertes.

A contrario, avec toutes ses faiblesses, la scènepolitique algérienne aujourd’hui est plus organisée, plus mature. On a vu dernièrement comment la classepolitique a réagi, à part quelques voix discordantes très isolés, aux provocations des ex-généraux. Qui pouvait miser un seul dinar il y a une dizaine d’années sur le pari qui préconisait que Khaled Nezzar et Mohammed Mediène n’auront aucun mot à dire en Algérie ! La dignité a primé sur l’effroi. Quoi qu’on puisse dire sur les ratés, les erreurs, les faiblesses et tous les aspectsnégatifs des dix dernières années, mais la situation semble maitrisée. Le terrorisme a été pratiquementannihilé, il reste quelques poches mais leur capacité de nuisanceest très faible. Tous les partis politiques de l’opposition parlementaire ou non sont d’accords sur la ligne rouge qui est la violence ou le trouble à l’ordre public. Le peuple aussi, il en est conscient. Reste, l’aptitude des gouvernants à continuer de jouer avec la méthode du « bâton et la carotte »envers les revendicationssociaux des travailleurs, des chômeurs, étudiants et des non ou mal logés. L’occasion de la révision de la constitution est un moment historique dans la consolidation de ces acquis démocratiques. Pour mettre fin à jamais à ces cycles transitoires infinis et pour constituer à un État fort de ses lois et ses institutions.

Objectivement, le gouvernement actuel a perdu beaucoup de temps, il a gaspillé aussi beaucoup d’argent, on pouvait beaucoup mieux faire. Néanmoins, on voit clairement que la nuance est sans appel entre les deux situations. Entre un temps de la dette, de corruption, de la crise économique très grave, de l’arbitraire et la torture qui s’est transformé subitement en un paradis de « tout est permis » y compris « la police islamique » et un moment actuel, avec toutes ses lacunes et ratés : surfacturations à l’importation, corruption, scandales de malversations, le laxisme de l’État et le manque d’imagination criant.Mais, tout de même, sans dette, avec des réserves de changes conséquentes, des grandes réalisations d’infrastructures, une paix civile durable, des libertés et de la régulation. On peut être pour ou contre, mais les faits sont là.