Comment la police et les tribunaux algériens auraient pu faire davantage pour protéger une victime de violences domestiques
Le mari de Salwa* a commencé à la battre dès les premiers jours de son mariage en 2006. Elle a reçu des coups de poing jusqu’à ce jour fatidique de septembre 2011, lorsque, raconte-t-elle, son mari l’a dénudée puis attachée par les bras, à l’aide de fil de fer, à une barre accrochée au plafond de leur domicile. Il l’a ensuite battue avec un balai, puis lui a mutilé les seins avec des ciseaux.
Couverte de sang, Salwa a perdu conscience. Revenue à elle, elle était par terre, les mains détachées. Sa belle-sœur était penchée au-dessus d’elle, avec des vêtements pour la couvrir. Celle-ci lui a ensuite ouvert la porte, et dit à Salwa de s’enfuir.
Le cas de Salwa, mère de deux enfants, basée à Annaba, en Algérie, est loin d’être unique. En 2016, la police algérienne a recensé 8.000 cas de violences contre des femmes, dont la moitié était des violences domestiques. Et, comme pour Salwa, de nombreux cas ne sont pas signalés.
Dans un sondage effectué en 2006 par le Ministère de la Famille et de la Condition féminine, 9,4% des Algériennes âgées de 19 à 64 ans ont confié avoir régulièrement – voire quotidiennement – été victimes de violences physiques au sein de leur propre famille.
La violence qu’a endurée Salwa n’est que le début de son histoire. Comme elle nous l’a expliqué, Salwa a dû se battre pour obtenir du système judiciaire et des services sociaux algériens la protection que la loi aurait dû lui garantir.
En quittant son domicile, Salwa s’est précipitée à l’hôpital, couverte de bleus, le visage tuméfié par les coups et ses vêtements ensanglantés. La police qui gardait l’hôpital l’a escortée à l’intérieur. Aux urgences, des premiers soins lui ont été dispensés, mais on lui a été dit qu’elle ne pouvait pas rester.
La police l’a alors emmenée dans un commissariat où elle a porté plainte contre son mari. Les policiers l’ont d’abord conduite dans un centre d’hébergement pour sans-abris administré par le gouvernement. Trouvant l’endroit « surpeuplé et sale », Salwa a demandé à la police de l’emmener ailleurs, ce qu’ils ont fait en la présentant à un centre d’accueil pour femmes battues situé à Annaba et dirigé par une organisation non gouvernementale.
Là-bas, elle a finalement obtenu l’aide dont elle avait besoin. Un médecin ou une infirmière est venu au centre d’accueil chaque jour, pendant deux semaines, pour changer ses bandages. Elle avait le temps et l’espace pour guérir.
Quand elle s’est sentie en état de quitter les lieux, elle s’est rendue à la police pour s’informer de l’état d’avancement de sa plainte. « Nous avons appelé votre mari, il a dit que vous êtes tombée et que c’est pour ça que vous êtes blessée », lui a-t-on répondu. La police n’a pas arrêté ou convoqué son mari pour l’interroger, a déclaré Salwa. La police lui a dit que l’affaire avait été classée sans suite.
Avec l’aide de l’organisation qui dirige le centre d’accueil, elle a fait appel à un avocat et déposé une seconde plainte contre son mari, pour violences physiques. Elle a déclaré qu’un tribunal l’avait finalement condamné, mais seulement à une amende et à une peine de prison avec sursis de six mois.
Salwa a également demandé le divorce. La loi algérienne permet aux hommes de demander le divorce sans justifier d’une raison. Les femmes en revanche doivent citer une ou plusieurs raisons « légitimes » à partir d’une liste préparée et convaincre le tribunal de leur bien-fondé ou accepter de rembourser leur dot.
La première fois que Salwa a demandé le divorce, en 2012, le tribunal a rejeté sa demande, en estimant qu’elle n’avait pas prouvé de manière convaincante que son mari l’avait « blessée ». Il lui a été ordonné de retourner auprès de lui.
« L’État n’a rien fait pour moi », a-t-elle assuré. « J’étais pratiquement morte et le tribunal m’a ordonné de revenir auprès de lui ».
Mais Salwa n’est pas revenue. L’organisation qui l’a aidée lui a payé les services d’un avocat. Elle a réclamé le divorce et, un an plus tard, l’a obtenu, le tribunal lui confiant également la garde de ses enfants et ordonnant à son ex-mari de lui verser une pension alimentaire. Lorsque celui-ci a refusé de payer, elle a déposé plainte contre lui. Il a été condamné à six mois de prison et à une amende, a déclaré Salwa, mais il a disparu, et la police l’a déclaré introuvable.
En avril 2016, Salwa vivait toujours dans le centre. Ses proches ont refusé de la prendre avec eux, a-t-elle dit, ses frères allant jusqu’à lui dire : « Nous ne voulons pas de divorce dans notre famille, nous ne voulons pas de toi ici ». Un sentiment familier en Algérie. Grâce à l’organisation qui la soutenait, elle a trouvé un emploi à temps partiel, mais ne gagne pas suffisamment bien sa vie pour louer un appartement.
Lorsque nous l’avons interviewée, Salwa était en colère et apeurée, et s’inquiétait du sort de enfants. Elle a pleuré en racontant son histoire. « Je ne veux pas me souvenir de ces moments », nous a-t-elle dit.
En décembre 2015, l’Algérie est devenu le premier pays d’Afrique du Nord à spécifiquement criminaliser certaines formes de violences domestiques. Mais ce n’est qu’une première étape. Le gouvernement doit faire davantage pour fournir aux femmes comme Salwa la protection dont elles ont besoin.
Les Algériennes victimes de violences domestiques ont besoin de davantage de lieux où trouver refuge. Les autorités doivent exiger de la police et des procureurs qu’ils enquêtent et ouvrent des poursuites judiciaires dans les cas de violences domestiques, et présentent une législation permettant aux tribunaux de rendre des ordonnances restrictives pour protéger les victimes.
(*) : son nom a été modifié pour protéger sa vie privée