La tension sur les carburants, même si tout semble rentrer dans l’ordre aujourd’hui, a laissé ses stigmates. Il ressort des déclarations des officiels et des spécialistes que les automobilistes ne sont pas à l’abri de nouvelles ruptures d’approvisionnement en carburants. Il faut au moins trois à quatre ans pour que la situation se stabilise et que s’éloigne le spectre des tensions récurrentes sur les carburants. Le ministre de l’Énergie l’a bien souligné : le problème de manque de moyens de stockage ne sera réglé qu’à moyen terme. Mais on se demande pourquoi aucun plan d’urgence n’a été ficelé d’autant que le premier responsable du secteur a évoqué cette difficulté publiquement en 2012. Cette rareté de l’essence pendant plusieurs jours enregistrée dans différentes villes du pays, récurrente depuis plusieurs années, est aujourd’hui inadmissible dans un pays pétrolier qui a consenti de lourds investissements dans le raffinage et la distribution de produits pétroliers.
On est en plein dans la mauvaise gouvernance, dans cette incapacité à anticiper les ruptures d’approvisionnement et cette opacité dont l’effet pervers fait qu’un problème est méconnu de la majorité de la population pendant des années. On le découvre plus tard comme aujourd’hui sous ses différentes facettes avec cette nouvelle tension sur les carburants. En fait, cette rupture d’approvisionnement a mis à nu un système de distribution défaillant : un cabotage dépendant des aléas climatiques et de la congestion des ports nationaux, un réseau de stations-service insuffisant à l’échelle nationale et sous-équipé en moyens de stockage, une bureaucratie qui freine les extensions de capacités de stockage, un système de marges à la pompe qui bloque l’investissement dans de nouvelles stations-service.
Il ne faut pas oublier également le retard dans le programme d’augmentation des capacités de raffinage de Sonatrach. On pointe du doigt le retard dans la réhabilitation des raffineries. Résultat des courses, les travaux de rénovation de la raffinerie d’Alger ne sont pas achevés. Cette situation a pesé dans cette rareté de l’essence sans plomb et du gasoil au centre du pays. L’augmentation de la capacité de raffinage est au cœur de la problématique. Beaucoup de projets de raffineries ont traîné. Le cas le plus important est la raffinerie de Tiaret qui devait produire 20 millions de tonnes de carburants par an et contribuer à couvrir la totalité des besoins en gasoil et en essences aux normes européennes avant 2010. Le lancement des travaux a longtemps buté sur l’orientation du programme pétrochimique de Sonatrach. On a fait d’abord appel à des partenaires étrangers. Puis on a décidé que le raffinage devait être la propriété à 100% de Sonatrach. Du coup, pour relancer le projet, on a mis plusieurs années pour prendre une décision définitive. Aujourd’hui, la raffinerie de Tiaret est reconfigurée pour produire seulement 5 millions de tonnes par an. Deux autres nouvelles raffineries sont prévues. Mais on en est qu’au lancement des travaux.
En somme, la question de l’approvisionnement en carburants renvoie à la politique énergétique du pays. On ne peut s’attendre à une meilleure qualité de service et à de nouveaux investissements dans la distribution sans ouverture du secteur à la concurrence. En un mot, sans une démonopolisation évidemment bien encadrée avec cahier des charges et contrôle. Du reste, notre modèle de consommation énergétique reste irrationnel. En effet, l’attitude “laisser faire” des pouvoirs publics a encouragé la diésélisation du parc automobile dont la conséquence négative est la baisse de nos exportations de produits raffinés. Une moins-value de plusieurs milliards de dollars par an. Le GPL et le gaz naturel carburant (GNC) ne sont pas suffisamment encouragés, entraînant une très forte concentration de la demande, de surcroît en expansion sur les essences notamment sans plomb et le gasoil.
Ce qui inquiète également c’est cette propension des administrations et des entreprises publiques à ne pas donner l’exemple. Leurs flottes devaient depuis longtemps rouler au GPL ou au GNC. Une nouvelle preuve que nous nous trouvons devant un système rentier, gaspilleur de ressources énergétiques non renouvelables, peu préoccupé par la protection de l’environnement contre les émissions d’oxyde de carbone.