L’assassinat des moines de Tibhirine devient une affaire exclusivement franco-française.
C’est à Charles Pasqua, ancien ministre de l’Intérieur, qui n’était plus en poste au moment des faits, de jeter un pavé dans la mare.
Selon lui, les moines auraient pu être sauvés. Ce serait l’ancien Premier ministre, Alain Juppé, qui aurait tout fait échouer pour une simple question d’orgueil personnel.
L’ancien ministre de l’Intérieur a fait ces révélations à une télévision de son pays depuis juillet dernier, soit bien avant la décision de Marc Trévidic, juge d’instruction en charge de l’affaire, de demander la levée du secret-défense.
Dans les propos de Pasqua, il n’y a rien qui confirme la thèse du général à la retraite, François Buchwalter, selon laquelle ce serait des militaires algériens à bord d’un hélicoptère qui auraient commis une bavure en tirant sur le bivouac des religieux.
Le ministre de l’Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, puis le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ont complètement écarté ce scénario.
La scène se joue alors entièrement en France avec des acteurs français et un public de même nationalité.
Outre Juppé, d’autres acteurs tiennent des rôles dans la pièce. La pièce maîtresse du scénario semble être Jean-Charles Marchiani, ancien préfet du Var et surtout ancien membre des services secrets.
Selon le témoignage de Pasqua, le préfet serait entré en contact avec les ravisseurs appartenant aux GIA pour libérer les otages.
Le président Jacques Chirac aurait été informé de cette initiative mais il n’en souffla mot à son Premier ministre.
Piqué dans son amour-propre, il aurait fait capoter les négociations. Résultat: les preneurs d’otages se sont sentis trahis par la France. Ils passent à l’acte et décapitent les sept moines.
Ces rebondissements seront certainement exploités par le juge d’instruction pour étayer le bien-fondé de sa demande de levée du secret-défense sur l’affaire, adressée à pas moins de trois ministères: la Défense, l’Intérieur et la Justice.
Au départ, l’enquête devait se concentrer exclusivement sur les allégations du général François Buchwalter, démenties par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Hervé de Charrette, mais il est fort probable que le rôle des protagonistes cités par Pasqua puisse aussi faire l’objet des investigations de la justice.
Cette dernière n’a ouvert une enquête qu’en 2004 alors que les événements se sont déroulés à Médéa en 1996.
Y a-t-il eu des pressions politiques ? C’est un autre point sombre que l’enquête tentera de tirer au clair.
En tout cas, la main du politique n’est jamais loin dans ce dossier. C’est là qu’il est intéressant de connaître la réaction de l’homme fort de l’Elysée: Nicolas Sarkozy.
Il avait déclaré, dans un premier temps, qu’il soutenait la démarche du juge, avant de tenir des propos plus nuancés.
A la lumière des nouvelles donnes, il est à se poser la question de savoir s’il va peser de tout son poids pour lever le secret-défense ou s’il va privilégier la qualité de ses relations diplomatiques avec Alger.
La décision n’est pas facile à prendre à quelques mois de la visite du Président Bouteflika à Paris, surtout lorsqu’on sait que le chef de l’Etat n’a pas du tout apprécié que l’honneur des militaires soit ainsi souillé.
Rappelons enfin que les familles se battent afin que la lumière soit faite sur les circonstances exactes de la mort de leurs proches.
Elles veulent aussi connaître le rôle joué par leur gouvernement dans cette affaire. Pas le nôtre.
Ahmed MESBAH