«Entre fidélité et perspectives» est le thème de la conférence-débat animée, vendredi à Tizi Ouzou, par Saïd Sadi, Arab Aknine, Saïd Douamane et Amar Zentar, des acteurs de la première heure du MCB.
Initiée par le RCD, cette rencontre s’inscrit dans la commémoration du 37e anniversaire du Printemps berbère. Intervenant en premier, Arab Aknine est revenu sur les faits qui ont donné naissance aux événements d’avril 1980 et à toute la dynamique intellectuelle et politico-historique enclenchée dans le pays dans le sillage de ce mouvement qui avait relancé le débat que l’unicité de pensée, imposée par le parti unique, croyait avoir définitivement tranché sur plusieurs sujets qui engageaient le destin de la nation algérienne.
Etaient posées à la fois la problématique pluralisme démocratique, la liberté d’expression et la question identitaire et linguistique, revendication qui était prioritaire pour les animateurs du MCB. « Le message d’avril 1980 a permis la réhabilitation de la dimension amazighe de l’Algérie. » Après ce détour historique, l’intervenant fera un constat en clair-obscur de la situation actuelle de la langue amazighe menacée par ce qu’il a appelé « le danger d’effritement de la structure linguistique de tamazight. Dont il faut reconstituer l’unité par des mesures de standardisation » qui sont du ressort de l’Etat. Examinateur du MCB et universitaire, enseignant à la faculté d’économie, le Pr Saïd Doumane a, lui aussi, axé son exposé sur les périls qui pèsent sur tamazight, incriminant « le pouvoir (qui) a juré de tout entraîner dans sa chute, parce qu’un jour ou l’autre il partira ».
Dans une analyse sociolinguistique et politique, le docteur Mouloud Lounaouci a fait part de sa déception quant au statut officiel de la langue amazighe, une année après sa reconnaissance constitutionnelle. «Une année après rien n’a changé », considérant que le statut officiel reconnu à tamazight est de pure forme.
« Un artifice constitutionnel qu’ont invoqué les tenants du pouvoir et leurs relais qui se gargarisent d’un statut officiel qui n’en est pas un », selon Mouloud Lounaouci pour qui tamazight n’a qu’un statut mineur par rapport à la langue arabe dont les attributs de l’officialité sont réellement protégés par la nouvelle Constitution qui l’a défini comme étant la langue de l’Etat, contrairement à tamazight qui est décrite comme langue officielle. Un subterfuge qui n’échappe pas à l’ex-animateur du MCB et du RCD qui considère que « les tenants du pouvoir ont cédé sur la primauté de la langue arabe».
Rappelant ce principe cher aux sociolinguistes qui considèrent que pour qu’une langue accède aux attributs de l’Etat nécessite qu’elle soit une langue de pouvoir.
«Le pouvoir linguistique est conditionné par l’exercice du pouvoir politique », rappellera M. Lounaouci. «Une année après, aucune loi organique n’est promulguée pour encadrer le caractère officiel consacré par la Constitution. Pis encore, aucune directive administrative ou arrêté ministériel ne sont venus suppléer l’absence de lois organiques d’application », se désole-t-il.
Incriminant l’absence de volonté politique pour permettre à tamazight d’être sur un pied d’égalité avec les deux autres langues fonctionnelles, à savoir les langues arabe et le française, qui sont largement utilisées dans les rouages de l’administration de l’Etat. Partageant le même constat de carence quant au traitement réservé à tamazight, Saïd Sadi ne va pas par des chemins détournés pour déceler une stratégie sournoise qui vise la neutralisation de la Kabylie de la part du pouvoir.
« La Kabylie subit des pressions multiformes qui s’expriment sur les plans économique, politique, culturel, psycho-social et symbolique et même policière», constate l’ex-président du RCD pour qui l’objectif de la pression économique « est de réduire la Kabylie à une situation de survie parce que la misère sociale empêche les populations de se battre pour leurs droits », analysera-t-il. Sur le plan socioculturel, « il y a une volonté d’agir sur les repères symboliques en les dénaturant », comme ce fut le cas lors de la « récente commémoration du centenaire de la naissance de Mouloud Mammeri ».
En bon psychiatre, Saïd Sadi décèle chez le pouvoir des velléités « d’aliéner la population par la religion », estimant que la Kabylie est soumise aux dérives salafistes. Saïd Sadi ajoute à cette stratégie, la promotion de certaines personnalités, qu’il a appelées «les Kabyles de service», dont le rôle est «la pollution des combats menés par cette région», qui a fait l’objet «d’une pression policière qui est le signe de la fascisation du régime», selon S. Sadi.
Il préconise l’émergence de dynamiques sociales et citoyennes pour suppléer le sous-investissement économique de cette région qui a besoin « d’un véritable plan Marshall socio-économique ». Et de regretter que cela n’est possible que « lorsque l’Etat se remettra à la disposition des citoyens ».