Par K. Remouche
La saisie, hier à Oran, de dizaines de milliers d’euros, dans le cadre d’une opération d’importation, montre qu’en dépit des marches populaires et des appels à la vigilance aux frontières, les tentatives de transfert illicite de devises continuent. Cette opération avortée donne l’illusion que la fuite des capitaux en ce contexte politique délicat s’est asséchée.
En fait, les saisies de devises aux frontières, qui se sont multipliées en 2018 et en ce début 2019, ne représentent qu’une infime partie du mouvement de fuite de capitaux importants que connaît le pays ces dernières années. Contrairement à des idées reçues, ce trafic ne se fait pas uniquement par le canal bancaire. En fait, le transfert illicite se fait surtout par le biais de surfacturations des importations, notamment d’équipements et des projets d’investissements.
Sur ce point, en dépit des multiples interpellations des services de contrôle, les institutions concernées n’ont pas encore mis en place un système de veille efficace sur les prix des produits et services sur les marchés internationaux pour endiguer cette hémorragie. Le transfert illégal des devises est pour une bonne partie effectué hors des circuits bancaires.
«Le commerce par cabas est l’une des faces de ce phénomène.
Des réseaux se sont constitués pour importer par ce canal des marchandises telles que les portables et autres produits électroniques, les vêtements de Turquie, de Dubai et d’Espagne. Bénéficiant de complicités au sein des services de contrôle, ces porteurs de valises agissant pour compte font passer des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros ou de dollars par opération. On assiste à des saisies ponctuelles, le plus souvent parce que ces porteurs n’ont pas versé de commissions», confie une source sûre proche des services des Douanes. Cette fuite des capitaux s’effectue également par l’usage illégal du passeport diplomatique qui évite les contrôles à l’aéroport, ajoute-t-il.
Istanbul et Dubaï, plaque tournante ?
L’autre facette de ce trafic est la ruée vers les acquisitions immobilières, principalement à Dubai et Istanbul, après la fièvre espagnole qui s’est atténuée, selon certaines sources. Ce mouvement a été observé en janvier et février 2019, dans un contexte d’incertitude sur l’avenir du pays et d’entame des marches populaires de contestation.
Un représentant de la société émiratie Emmaar, la plus importante entreprise immobilière à Dubai, Akram Chabou, a confié que les investissements immobiliers algériens ont connu une hausse durant la période janvier-février par rapport à la même période de l’année dernière. «Les Algériens achètent des villas et des appartements. Le coût minimum d’un appartement est de 750 millions de centimes, celui d’une villa de 7,5 milliards de centimes (moins cher qu’en Algérie). Le but de ces transactions est la location. Cette formule rapporte annuellement 8 à 9 % du prix de l’immobilier acheté.
En 2018, les Algériens ont acheté 60 tours (60 étages et 3 à 4 appartements par étage) et 800 villas, uniquement par l’intermédiaire d’Emmaar, pour l’équivalent d’environ 300 millions de dollars», ajoutera-t-il. L’offre émiratie est alléchante. La propriété à vie de l’immobilier et la résidence à Dubai. Comment s’effectuent la transaction ? «Les Algériens paient en dinars hors circuit bancaire, en Algérie, et des intermédiaires à Dubai paient en monnaie locale pour le compte de ces investisseurs algériens, indique-t-il.
Même topo pour Istanbul. Mais là, l’immobilier est beaucoup moins cher. «Nous offrons des appartements de 70 mètres carrés à 550 millions de centimes, et de 150 mètres carrés à 1,5 milliard de centimes. En sus, le propriétaire algérien bénéficiera d’une carte de séjour, de soins de santé gratuits et l’accès gratuit aux établissements d’enseignement», indique une représentante d’une société turque basée à Istanbul. Elle confirmera, en outre, une hausse de la demande de nationaux étrangers sur les biens immobiliers à Istanbul.
Istanbul et Dubaï restent ainsi les plaques tournantes du trafic illicite de devises. L’absence de conventions d’échanges d’informations entre les douanes et administrations financières des deux pays empêche toute traçabilité et la récupération d’une partie de cet argent sale. Le transit de ces flux hors circuits bancaires favorise le blanchiment d’argent. Toutes ces failles expliquent non seulement cette fuite importante de capitaux, qui constitue une véritable saignée pour l’économie nationale, mais également l’invasion qui se poursuit de produits contrefaits à partir d’Asie du Sud-est et de la Turquie. Ce qui peut porter atteinte à la santé du consommateur et à sa sécurité.
Alors que ce mouvement de capitaux s’exerce à sens unique, aucune mesure majeure n’a été prise ces dernières années pour attirer les capitaux étrangers ni pour instaurer un climat de confiance propice à l’investissement des nationaux dans leur propre pays ou à une épargne plus importante dans les institutions financières locales. In fine, cette fuite des capitaux ne sera pas asséchée à court terme. Une situation intolérable. Il faudra un courage politique manifesté par l’assainissement des corps de contrôle aux frontières à travers l’éloignement des agents et responsables de ces services corrompus, et d’autres mesures plus audacieuses pour espérer combattre et en finir avec ce phénomène de fuite des capitaux qui atteint des proportions dangereuses. Ce qui ne peut se faire en quelques jours.