La Tunisie entre dans une nouvelle phase, dans le sillage des crises politiques cycliques dans lesquelles elle est plongée, après notamment les évènements vécus par ce pays, dans ce qu’on appelle «le Printemps arabe».
Même si le retrait de confiance au gouvernement d’Habib Essid était prévisible, dès l’annonce, début juin dernier, par le président tunisien, Beji Gaïd-Essebsi, de son initiative d’aller vers la formation d’un gouvernement d’union nationale, depuis samedi, journée qui a vu les parlementaires voter par une très large majorité pour le départ de l’exécutif d’Essid, marque le début de cette crise, laquelle coïncide avec le retour de la majorité parlementaire, au parti islamiste de Rachid Ghennouchi, après avoir été du parti de Gaïd-Essebsi, Nidaa Tounes, qui a connu une crise, et non des moindres. Si, pour la formation politique Ennahda, la Tunisie, traverse «en ce moment une étape délicate», selon son porte-parole Imad Hammami, indiquant, samedi, que son pays «nécessite un chef de gouvernement courageux et doté de qualités spéciales», il s’agit, en cette période, de nommer un chef de gouvernement ayant «la capacité de faire face aux situations difficiles auxquelles est confronté le pays», a-t-il expliqué, notamment par la prise «des décisions courageuses». Il est à noter que le pays n’est pas à sa première crise politique, depuis qu’il a connu les évènements appelés «Printemps arabe», depuis lesquels, et à ce jour, le mouvement de Rachid Ghennouchi, outre qu’il a été aux commandes du pays, a été aussi au cœur des décisions prises par les gouvernements successifs de Tunisie, ces cinq dernières années.
LE PROFESSEUR AHMED KATEB SUR LA CHUTE DU GOUVERNEMENT ESSID :
« Le pays entre dans une phase d’incertitudes »
Pour l’expert et professeur en relations internationales et de l’information, Ahmed Kateb, le retrait de confiance au gouvernement d’Habib Essid, par les députés tunisiens, enseigne sur une donne essentielle, à savoir «la fragilité politique de la Tunisie», nous a-t-il déclaré, lors de l’entretien qu’il nous a accordé, hier. Plus explicite, il dira que la fragilité politique, la conséquence directe, du fait que la vie politique en Tunisie, notamment depuis les dernières législatives et les présidentielles, est en «ballottage» entre deux formations politiques, Ennahda et Nidaa Tounes, respectivement, de Rachid Ghennouchi et Gaïd-Essebsi. Tout au long de l’entretien qui suit avec le professeur Kateb, celui-ci apporte des éclairages outre sur les conséquences des crises politiques cycliques que vit le pays, depuis plus de cinq ans, dont l’actuelle, notamment sur l’économie du pays qui peine à retrouver le rythme de la croissance, mais aussi sur les questions sécuritaires, notamment la lutte contre le terrorisme. Concluant que le pays entame une étape de turbulences, non des moindres, à court terme.
Le Courrier d’Algérie : – Après le vote du retrait de confiance des députés au gouvernement d’Essid, la Tunisie entre-t-elle dans une nouvelle crise, ou bien s’agit-il d’une crise dans le sillage des crises cycliques que connaît le pays, depuis les évènements appelés «Printemps arabe» ?
Ahmed Kateb : – Le retrait de confiance du gouvernement d’Habib Essid, par la majorité parlementaire, enseigne une chose essentielle, la fragilité politique en Tunisie, d’abord, à cause d’une vie politique qui est essentiellement entre Ennahda et Nidaa Tounes, deux formations politiques importantes, qui sont en ballotage dans la vie politique dans ce pays. En second, l’exécutif d’Essid a été, en fin de compte piégé par son bilan critiqué, il n’a pas su, ou bien pu, lutter notamment contre la corruption et le chômage, en plus que le gouvernement sortant a été attendu aussi sur la donne sécuritaire, il ne faut pas oublier que durant son exercice, la Tunisie a été frappée par plusieurs attentas, dont celui contre Le Musée Bardo, et aussi l’attentat sanglant contre une station balnéaire. Maintenant si l’on prend ces deux donnes, économique et sécuritaire, l’on comprend pourquoi la Tunisie fait du surplace. Constitution consensuelle, la vie politique est le modèle le plus abouti de ce qui a été appelé «le Printemps arabe», maintenant, le pays reste piégé dans des contradictions intrinsèques et la vie politique est plus au moins dominée, je l’ai dit, auparavant, par les deux formations et les choses sont ainsi ballottées, si ce n’est tantôt dans ce sens et tantôt dans un autre, et le pays n’avance pas, c’est pourquoi, je vous ai dit, que la Tunisie fait du surplace.
– Déjà que le pays peine à relancer son économie et mène une lutte contre le terrorisme, la crise aura-t-elle un impact considérable ?
Le pays va passer, maintenant par une phase d’incertitudes. Le temps de nommer un nouveau chef de gouvernement, d’ici un mois, en principe, et donc avant la fin de l’été, et là, il s’agit d’une période de flottement pour la Tunisie. Cela dit, le président Gaïd-Essebsi avait espéré, dans discours, du 2 juin dernier, arriver à la formation d’un cabinet, soit un gouvernement d’union nationale, en vue de relever les défis et apporter les réponses pertinentes aux questions qui se posent avec acuité aux Tunisiens et au pays; maintenant, est-ce que les Tunisiens arriveront-ils à s’entendre pour dégager les personnes devant composer ce gouvernement d’union ? C’est la grande question, verront-ils de nouveaux courants politiques, dans le futur gouvernement, pour ne citer comme exemple que celui de gauche, Afak Tounes, siéger aux côtés, d’Ennahda lequel domine la vie politique avec Nidaa Tounes, comme je l’ai dit auparavant ? Pourront-ils s’entendre sur, si puis-je le dire, «un minimum syndical» pour pouvoir former le gouvernement d’union nationale, tel est l’enjeu principal. Et, par la formation de cabinet d’union en Tunisie découlera, en principe, deux grandes problématiques, le règlement de la fragilité politique dans le pays et la question sécuritaire, ainsi que la relance de la machine économique tunisienne.
Pourquoi, à votre avis, cette crise au moment de la reprise d’Ennahda des règnes du Parlement tunisien et les rapports qui font état du retour des terroristes tunisiens, en grand nombre, notamment en Syrie, suite aux défaites successives occasionnées par l’armée de la République arabe syrienne et des frappes aériennes russes contre les terroristes, notamment en Syrie, et en politique, il n’y pas place au hasard ou aux coïncidences ?
C’est vrai qu’en politique il n’y pas de coïncidences, mais j’avancerais plus des explications d’ordre politique que sécuritaire. Par ce qu’il y avait des pressions au sein de Nidaa Tounes de la part de Hafed Caïd-Essibsi, qui a poussé, du moins au «pourrissement» de la situation de cette formation politique.
Situation profitant au parti d’Ennahda de Rachid Guennouchi, n’est-ce pas ?
Oui, bien sûr. Et maintenant va-t-on revenir à des tentations bourguebistes, et l’on sait que le modèle politique pour Essebsi, c’est celui de l’ex-président tunisien, Habib Bourguiba, alors l’actuel président aura-t-il cette tentation de revenir à ce modèle, dans son côté obscure, à l’exemple des interférences de son fils Hafid. Et lors du congrès de Nidaa Tounes, on a vu Gaïd-Essebsi tenir un discours contre la religion en politique et lors du congrès d’Ennahda, il a assisté et a tenu un discours rassembleur, et là l’on est devant deux personnage, de cheikh, dont le cheik religieux, Rachid Ghennouchi. Et le parti Ennahda a été à l’épreuve de l’exercice du pouvoir et a été sanctionné, et les tunisiens le savent, là, revenu majoritaire au sein du parlement, et on verra dans un avenir proche, la composante du gouvernement d’union nationale, il sera comptable, devant les Tunisiens, qui ne sont pas dûpes et attentifs, ils savent qu’Ennahda n’affiche q’un masque quand elle prône la modernité. La tâche pour les Tunisiens sera, faut-il le souligner, très rude.
Entretien réalisé par Karima Bennour