Le mouvement islamiste Ennahda a affirmé mardi soir, sur la base de ses propres chiffres, avoir obtenu plus de 40% des sièges de l’Assemblée constituante dont l’élection, dimanche, était le premier scrutin démocratique issu du « printemps arabe ». Les principaux rivaux d’Ennahda ont reconnu la victoire du parti de Rachid Ghannouchi. Les discussions autour du prochain exécutif ont commencé.
Quarante-huit heures après la fermeture des bureaux de vote, pris d’assaut par des Tunisiens avides de pouvoir enfin exercer réellement leur droit de vote, les résultats officiels n’ont pas encore été proclamés par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).
Les discussions politiques pour la constitution d’un exécutif après l’installation de l’Assemblée constituante tunisienne ont commencé avec les islamistes d’Ennahda.
« Les discussions ont commencé avec tous les partenaires politiques, y compris Ennahda, et se poursuivent en attendant l’annonce des résultats définitifs », a précisé Mustapha Ben Jaafar chef du parti de gauche Ettakatol qui s’est dit « prêt à assumer les plus hautes responsabilités si un consensus se dégage ».
Les principaux rivaux d’Ennahda ont reconnu la victoire du parti de Rachid Ghannouchi.
« Nous en réalisons la portée: Ennahda sert désormais le peuple tunisien, pas simplement ses partisans », a déclaré mardi soir Abdelhamid Jlazzi, directeur de campagne du parti interdit sous le régime de Zine ben Ali.
Il a ajouté que toutes les organisations tunisiennes seraient associées aux discussions à venir sur les futures institutions démocratiques du pays.
« Nous ne tiendrons aucun groupe à l’écart de nos consultations, que ce soit les partis politiques représentés ou non à l’Assemblée, les groupes de la société civile ou les syndicats », a-t-il promis.
Ennahda, a-t-il ajouté, coopérera aussi avec les milieux d’affaires pour améliorer les conditions sociales et économiques.
« Il n’y aura pas de rupture mais de la continuité parce que nous sommes arrivés au pouvoir par la démocratie, et non pas par des blindés », a-t-il promis. « Nous avons souffert de la dictature et de la répression, maintenant, une occasion historique nous est donnée de savourer le goût de la liberté et de la démocratie. »
Marzouki prêt à un gouvernement de coalition
Les 217 membres de l’Assemblée constituante seront chargés de rédiger la nouvelle constitution du pays et de former un nouveau gouvernement provisoire jusqu’à la tenue d’élections législatives et présidentielle, l’année prochaine.
En raison du mode de scrutin proportionnel, Ennahda ne devrait pas obtenir de majorité absolue au sein de la future assemblée élue dix mois après le déclenchement de la « révolution du jasmin », qui a lancé le « printemps arabe ».
Conscient des inquiétudes qu’il suscite en Tunisie comme à l’étranger, où l’on cherche dans le scrutin de dimanche des éléments d’appréciation des bouleversements à venir dans la région, le parti islamiste s’est dit prêt à former une alliance avec les deux formations laïques arrivées derrière lui, le Congrès pour la république (CPR, centre-gauche) et Ettakatol, parti de centre-gauche de Moustapha Ben Jaafar.
« Je suis pour un gouvernement de coalition », a répondu Moncef Marzouki, le président du CPR qui a passé des années en exil en France sous Ben Ali. « Nous souhaitons un gouvernement d’union nationale le plus large possible incluant tous les partis. »
Modèle turc
Pendant toute la campagne, Ennahda s’est prévalu d’un islamisme modéré sur le modèle du parti AKP, au pouvoir en Turquie. Le parti a fortement médiatisé Souad Abdel-Rahim, une de ses candidates à Tunis, une femme non voilée qui a dit et répété qu’Ennahda préserverait les acquis des femmes.
Mais une partie de la population, soucieuse de préserver la laïcité historiquement attachée à la Tunisie indépendante, s’inquiète de la résurgence des islamistes.
Les manifestations salafistes contre la diffusion à la télévision tunisienne de « Persépolis », dessin animé dans lequel, contrairement aux principes de l’islam, on aperçoit une incarnation d’Allah, ont alimenté ces craintes.
Mardi, quelque 400 personnes se sont rassemblées devant le siège de l’ISIE, à Tunis, en accusant Ennahda et d’autres formations de fraude électorale. « Quelle démocratie ? » et « Honte à toi Ghannouchi ! », pouvait-on lire sur leurs banderoles.
« Il y a eu des falsifications avant même le vote. Des partis comme Ennahda ont distribué de l’argent à des électeurs », a affirmé l’une des manifestants, Saïfallah Hanachi.
A l’inverse, les proches de Rachid Ghannouchi affirment que les partisans d’un islam plus orthodoxe jugent le chef de file d’Ennahda comme étant trop libéral. « Les salafistes, les wahhabites et mêmes certains membres de la confrérie des Frères musulmans ne l’aiment pas, certains pourraient même dire que c’est un ‘kafir’ (un apostat) », rapporte un ami égyptien de Ghannouchi qui le connaît de ses années d’exil à Londres.
Avec Reuters et AFP