Partis d’opposition et mouvement kurde ont fustigé mardi le projet de réformes annoncé la veille par le Premier ministre islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan pour renforcer la démocratie en Turquie, dénonçant l’absence de vraies solutions aux problèmes du pays.
Alors que d’importantes avancées en faveur de la majorité kurde étaient attendues dans ce paquet de réformes, dans un contexte de pourparlers de paix entre Ankara et Abdullah Öcalan, le chef emprisonné des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ces derniers ne cachaient pas mardi leur déception.
«Le paquet de réformes qui a été annoncé démontre que l’AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir) a adopté une politique de non résolution» de la question kurde, a affirmé la direction du PKK dans un communiqué cité par l’agence de presse kurde Firat, porte-voix de la rébellion.
«On comprend avec ces annonces (…) que rien d’autre n’a été pris en considération que la recherche d’un nouveau succès électoral», a-t-elle poursuivi.
L’annonce de cette série de réformes intervient alors que des élections locales sont prévues en mars 2014, puis une présidentielle en août et des législatives en 2015.
Le PKK a entamé au printemps un retrait de ses combattants vers le nord de l’Irak, mais a interrompu ce mouvement début septembre en réclamant des mesures concrètes du gouvernement pour la minorité kurde.
Les rebelles revendiquent notamment le droit à un enseignement public en kurde, une forme d’autonomie pour les régions kurdes de l’est et du sud-est de la Turquie, une révision de la loi antiterroriste pour permettre la libération de milliers de militants kurdes et l’inscription d’une référence explicite à l’identité kurde dans la Constitution.
M. Erdogan n’a que partiellement répondu à ces attentes lundi en annonçant un enseignement en langues maternelles dans les seuls établissements privés et des mesures d’ordre symbolique comme la possibilité pour des localités kurdes débaptisées après le coup d’Etat de 1980 de reprendre leur nom kurde.
Les réformes n’ont pas d’avantage convaincu les principaux partis d’opposition.
«Le gouvernement a déserté face aux principaux problèmes de ce pays et nous a présenté ces réformes pour échapper aux pressions de la société», a accusé Kemal Kiliçdaroglu, le chef du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate).
«Contre-attaque»
Le chef du CHP n’a pas en revanche commenté la réforme la plus concrète du «paquet de démocratisation»: la fin de l’interdiction du voile islamique dans la fonction publique, à l’exception de la police, de l’armée et de la justice.
Tout au plus a-t-il dénoncé une mainmise de l’AKP sur l’Etat et son autoritarisme. «Ils considèrent la moindre objection comme une résistance à l’Etat», a-t-il commenté, «le principal obstacle à la progression de la démocratie en Turquie est l’AKP lui-même».
Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l’AKP a fait de la levée de l’interdiction dans la fonction publique du foulard islamique, un symbole de la Turquie musulmane mais laïque voulue par le fondateur de la République Mustafa Kemal Atatürk, l’un de ses chevaux de bataille.
Le chef du Parti de l’action nationaliste (MHP, nationaliste), Devlet Bahçeli, a pour sa part dénoncé l’absence de consultation qui a entouré la préparation de ce projet.
«Le peuple turc est absent de ce paquet, ses attentes n’y sont pas. La volonté du Parlement n’y est pas», a-t-il déclaré.
Pour nombre de commentateurs, les annonces du Premier ministre visent d’abord à réhabiliter son image, écornée par la répression de la vague de contestation qui a agité la Turquie en juin.
Pendant près d’un mois, des dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans les grandes villes de Turquie, surtout Istanbul, Ankara et Izmir (ouest) en accusant M. Erdogan de dérive autoritaire et de vouloir «islamiser» la société turque.
«Le +paquet démocratique+ peut ainsi être considéré comme la contre-attaque du gouvernement», a déclaré à l’AFP Sinan Ulgen, expert à la fondation Carnegie Europe à Bruxelles. «Il serait naïf d’attendre que la démocratie émerge de ce +paquet+» après les manifestations de juin, a jugé pour sa part le quotidien libéral Radikal.