Turquie-Syrie : une “arme hydraulique” en suspens

Turquie-Syrie : une “arme hydraulique” en suspens

Les relations turco-syriennes ne sont plus au beau fixe depuis un bon nombre d’années. Cependant, les six premiers mois de la “révolution syrienne” voyaient alors le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan tenter d’influer sur le président Bachar al-Assad en l’encourageant à adopter des réformes pour répondre aux demandes populaires auxquelles il faisait face, Ankara rejoindra vite le rang des pays opposés au maintien du chef de l’État au pouvoir. La contribution turque aux évolutions du conflit syrien ne fait aucun doute. Le fait pour la Turquie d’avoir fermé les yeux sur les passages de combattants et militants radicaux depuis son territoire vers la Syrie voisine suppose comme tels une participation et un acquiescement de la part des autorités turques à ces mouvements.

Mais si la détermination turque à en finir avec le pouvoir de Bachar al-Assad a été évidente, tout aussi manifeste est le fait qu’Ankara disposait, dans sa stratégie activement engagée contre le régime syrien, de moyens dépassant les aspects militaires stricto sensu. Parmi ceux-ci, l’arme hydraulique. En effet, la dépendance de la Syrie aux volumes d’eau en provenance de la Turquie est un fait qui a suscité une ample littérature jusqu’ici. De plus, la détermination de la Turquie à en finir avec le pouvoir du président syrien prit, à maintes reprises, une tournure radicale, qui suggérait qu’Ankara ne s’épargnerait aucun effort pour parvenir à ses fins. Comment comprendre dès lors le fait qu’elle ait décidé de s’épargner le recours à ce moyen de pression incarné par l’eau dont la Turquie dispose, surtout au vu de sa potentielle efficacité ?

Dans les faits, agir au travers du robinet de l’eau a une contrainte importante : celui de toucher au domaine de la sécurité humaine.

Ainsi, la combinaison de cet aspect à celui relatif à la sensibilité de beaucoup de pays occidentaux à la “cause kurde” aurait valeur de cocktail explosif pour une Turquie qui, aussi rétive soit-elle devant les aspirations kurdes, souhaite cependant que son image de mastodonte ferme, mais non moins responsable et bienveillante reste préservée à l’adresse du monde.

Cet objectif demeure suffisant en soi pour pousser la Turquie à garder une bonne mesure. Certes, la limitation sur le plan hydraulique n’est pas incompatible avec le déploiement de moyens armés lourds en parallèle, comme on a pu le voir à travers les évolutions en Irak et en Syrie le long de ces dernières années. Les Kurdes de ces deux pays ont ainsi eu à payer le prix de politiques lourdes et déterminées déployées par le voisin turc. Mais c’est là un combat mené sur le terrain politico-stratégique, dans lequel Ankara fait valoir son opposition à une formation armée qu’elle considère comme terroriste (le Parti des travailleurs kurdes, PKK) ainsi qu’à ses affidés.

Tout différent s’avère le propos à partir du moment où l’on traite de la possibilité pour une population faite de civils/innocents de souffrir le martyre du fait de politiques punitives exercées à son encontre. C’est là tout le fond des critiques qui ont visé le pouvoir de Bachar al-Assad depuis 2011.

On comprend qu’il valait mieux pour Recep Tayyip Erdogan d’éviter dès lors de recourir à une arme dont les effets ne manqueraient pas de se retourner franchement contre lui et contre les propos humanistes qu’il s’est souvent plu à manier et à rappeler dans le cas de la Syrie pour justifier son aversion au pouvoir de son voisin.

Car au final, “l’arme hydraulique” demeure d’autant plus efficace que son utilisation est suggérée plutôt que mise en application.

Les potentielles volontés d’utilisation de ce moyen par un pays ou l’autre se heurtent à des considérations d’ordre éthique et humanitaire qui demeurent, pour le meilleur plutôt que pour le pire, relativement dissuasives.

Évidemment, la grande inconnue passe par le fait de savoir combien de temps une telle situation pourra prévaloir, dans un contexte surtout où, outre la volatilité périodique des évolutions régionales, on ne peut que craindre à terme les effets du changement climatique sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, et comment celui-ci ne pourra manquer d’ajouter à la région un nouveau facteur de stress qui accroîtra la place prise par le leadership hydraulique dans les évolutions régionales.

Par : Barah MIKAÏL