la Russie ne pouvait se permettre d’avoir à ses frontières un cheval de Troie dont la capacité de destruction se serait fortement accrue en l’espace de quelques années.
Pour certaines capitales occidentales, depuis le début de la crise en Ukraine, Vladimir Poutine «souffle le chaud et le froid, alternant gestes d’apaisement et provocations». De là à croire qu’il n’a pas de stratégie et qu’il module ses interventions en fonction des réactions de Washington, Bonn et Paris, il n’y a qu’ un pas, vite franchi par les diplomates et les stratèges occidentaux.
Désorientés par une démarche ambiguë, Moscou soufflant le chaud et le froid, mais ne reculant en aucun cas sur les avancées obtenues depuis le début de la crise (annexion de la Crimée, soutien aux enclaves russes de Donetsk etc…), ils ont cru, et croient toujours, à un brusque désengagement de la Russie face aux pressions et aux menaces de sanctions nouvelles.
Dans un article édifiant publié dans la revue interne de l’armée en février 2013, le général Valery Guerassimov, chef d’état-major, écrivait «Il serait plus simple de considérer que les évènements du ´´Printemps arabe´´ ne sont pas des guerres et qu’ils n’ont rien à apprendre aux militaires que nous sommes. Mais c’est peut-être tout le contraire: ces évènements pourraient bien être caractéristiques des conflits armés aux XXIe siècle. En termes de victimes et de destructions, ces conflits d’un nouveau genre – qui s’accompagnent de conséquences catastrophiques au niveau social, économique et politique – n’ont rien à envier aux guerres traditionnelles.
Le ´´droit´´ même de la guerre a changé. On assiste à une recrudescence des moyens non militaires d’atteindre des objectifs politiques et stratégiques qui se sont révélés, dans bien des cas, encore plus efficaces que la force des armes…»
Tout est là, et bien là. La stratégie de la Russie, face à une menace évidente de l’Alliance atlantique (Otan) désormais à sa porte avec l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne, mettant en péril et sa ligne de défense occidentale et ses bases navales nucléaires dans la zone, a obéi à une mue significative: «L’expérience des conflits militaires -y compris ceux qui sont liés aux soi-disant révolutions des fleurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient- nous montre qu’un Etat tout à fait prospère peut, en quelques mois, voire en quelques jours à peine, être le théâtre d’un conflit armé féroce, faire l’objet d’ingérences externes, et sombrer dans le chaos, la catastrophe humanitaire et la guerre civile…
Un changement de cap s’est opéré dans la gestion de conflit, avec la mise en place d’une vaste palette de mesures politiques, économiques, médiatiques et humanitaires ne nécessitant pas l’usage de la force armée, qui viendront renforcer la capacité potentielle des populations à se soulever. Tout ceci s’accompagne d’une présence militaire discrète, avec des actions de désinformation et des opérations menées par les forces spéciales.»
Les enseignements sont clairs, et la Russie ne pouvait se permettre d’avoir à ses frontières un cheval de Troie dont la capacité de destruction se serait fortement accrue en l’espace de quelques années.
Ainsi, la stratégie de Vladimir Poutine, suscitant l’union sacrée pour la défense des intérêts ruses internes et externes, a consisté sans verser dans une quelconque provocation ou céder aux surenchères à utiliser les nouvelles armes inventoriées par Gerassimov, c’est-à-dire l’arme économique (livraison de gaz) avec l’exigence d’un réajustement des prix, l’arme des systèmes de désinformation et des actions circonstanciées des forces spéciales ainsi que celle des réseaux sociaux. Il est certain que la Russie maintiendra le cap (a-t-elle d’autre choix?) et que les sanctions resteront sans effet, surtout qu’avec l’approche de l’hiver, l’Union européenne s’est résignée à conclure un accord sur le prix du gaz russe dont elle est approvisionnée, en même temps que l’Ukraine. Qui plus est, le rapprochement entre Moscou et Pékin, amorcé ces derniers jours par Poutine et le président Xi Jinping lors du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (Apec), aura un impact indéniable sur le rapport des forces entre les uns et les autres..