Déjà complexe, la situation en Libye peut dégénérer à n’importe quel moment. De nouveaux acteurs et blocs politico-tribaux pourraient émerger et constituer un véritable rapport de force contre les signataires de l’accord de Skhirat. Les pressions onusiennes pourraient être contre-productives.
La communauté internationale, ou plutôt les capitales occidentales, semblent avoir crié victoire avant l’heure, après avoir fait signer jeudi à Skhirat (Maroc) à des acteurs politiques libyens “non mandatés” un accord de paix qui laisse des doutes sur la possibilité de sa mise en application sur le terrain.
Et pour cause et en dehors du refus des présidents des deux Parlements parallèles de Tripoli et de Tobrouk de cautionner le paraphe du texte onusien, une partie de la population libyenne s’oppose catégoriquement à ce qu’elle qualifie de “mascarade” de Skhirat.
Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale Tripoli, à Misrata, mais également à Syrte et à al-Zaouiya pour exprimer leur rejet de l’accord parrainé par l’Onu, estimant qu’il ne répondait pas à leur attente et aux idéaux de la “révolution du 17 février 2011” qui a entraîné la chute de l’ancien régime du défunt colonel Mouammar Kadhafi.
“La signature de l’accord de Skhirat est une trahison”, accusent les manifestants, dont les images rapportées par la chaîne de télévision privée Al-Anbaa montrent qu’il s’agissait des partisans du Congrès général national (Parlement non reconnu de Tripoli). Outre cette partie de la population, opposée à l’accord de Skhirat, il y a aussi des regroupements d’organisations civiles et des partis politiques qui ont rejeté le texte.
Ces derniers accusent l’Onu et son nouvel émissaire Martin Kobler de forcer la main à deux Parlements pour former un gouvernement d’union nationale, en ignorant le risque de l’émergence d’une troisième partie qui risque de compliquer la situation. En effet, dans une
Libye disposant de deux gouvernements parallèles et contestés, la naissance d’une troisième force politique et militaire est plausible. Bien qu’ils soient d’accord pour un dialogue politique interlibyen et sur l’urgence de trouver une issue à la crise afin de faire face à la menace terroriste de l’organisation autoproclamée État islamique (Daech), les Libyens rejettent toute solution imposée par la communauté internationale.
Sans aller jusqu’au rejet de toute implication onusienne dans la crise libyenne, les Libyens refusent toutefois que la communauté internationale leur dicte les noms de personnalités qui devraient figurer dans le futur gouvernement d’union, au nom de la lutte contre Daech. Car, tout l’enjeu est là.
La nécessaire formation d’un gouvernement d’union en Libye n’est, aujourd’hui, motivée par la présence de Daech dans ce pays que par l’urgence d’une sortie de la crise née de la “révolution du 17 février 2011”.
L’implantation de l’État islamique en Libye et le renforcement de sa présence dans ce pays depuis le début de l’intervention aérienne russe en Syrie en octobre dernier ont accentué la pression sur les parties libyennes.
Face à Daech, les gouvernements de Tripoli et de Tobrouk étaient invités à accorder leurs violons. Ainsi, mis devant leurs responsabilités, les deux Parlements avaient consenti de reprendre langue, sous l’égide du nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu en Libye, avec l’espoir de voir le texte proposé par son prédécesseur Bernardino Leon modifié.
Ce ne fut pas le cas. Lundi, le Conseil de sécurité de l’Onu devrait entériner son soutien à l’accord de Skhirat, mais également son soutien à toute éventuelle aide militaire au futur exécutif, dont la mission sera de préparer la prochaine présidentielle et la promulgation d’une nouvelle constitution en Libye.