Un grand écrivain anglais raconte son « road trip » détonant en Algérie

Un grand écrivain anglais raconte son « road trip » détonant en Algérie

Petit à petit l’Algérie commence à se faire une place dans le monde en tant que destination touristique. Sur internet et dans les réseaux sociaux, nombreux sont les visiteurs étrangers qui racontent, à travers des reportages, des articles de presse et des vlogs, leurs séjours en terre algérienne.

Parmi ceux-ci, il y a Henry Wismayer, un journaliste et écrivain basé à Londres. Ses essais et reportages sont parus dans plus de 80 publications, dont le New York Times Magazine, le Washington Post, The Atlantic, The Guardian, TIME Magazine, Wall Street Journal, National Geographic Traveler et BBC World. Ce globe-trotteur a voyagé dans plus de 100 pays à la recherche d’histoires pittoresques. Ses écrits ont été nominés pour de nombreuses récompenses et traduits dans plus de douze langues.

Dans un reportage publié au Washington Post, en avril dernier, Henry Wismayer raconte son édifiant voyage en Algérie.

Between Morocco and Tunisia there is that big space? That’s my country!

Nous étions sur la route de Timgad lorsque la tempête de sable nous a rattrapés. En une heure, le nuage, arrivé de l’ouest, a masqué le soleil ; et en moins de deux, il avait entièrement effacé l’horizon, engloutissant tout — terre et ciel — dans la même teinte ocre et sale.

Pour moi, déjà impressionné par les plaines sahariennes plus au sud, ce crépuscule jaune surréaliste soulignait deux choses à propos de l’Algérie. Le pays est immense, c’est le 10e plus grand pays du monde par sa superficie. Mais aussi obscur, caché derrière des barrières à la fois naturelles et artificielles.

Cinq jours plus tôt, dans la capitale Alger, mon guide, Omar Zahafi, avait commencé à combler ce vide. Natif d’Alger, âgé de 36 ans, avec une barbe prodigieuse et une chemise orange, Omar connaissait bien le décalage entre l’étendue géographique de son pays et sa réputation à construire. Lorsque je disais aux gens à l’étranger que je venais d’Algérie et qu’ils me corrigeaient : « Nigéria ? », je répondais : « Vous savez, entre le Maroc et la Tunisie, il y a ce grand espace… C’est mon pays ! »

Première escale, le vieil Alger

Le vieil Alger, m’explique Omar, était une ville en deux parties. La partie inférieure, du front de mer aux boulevards, est le quartier français, autrefois le centre du pouvoir colonial. Aujourd’hui, les hautes façades blanches se fondent au-dessus des boutiques, les reliefs en stuc écaillé paraissent grotesques à côté du linge drapé sur les balustrades. Immédiatement au nord se trouve la ville originale, la Casbah, un labyrinthe de ruelles délabrées, site du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1992. Une grande partie de son aménagement remonte à l’époque où elle était un protectorat ottoman et constituait un entrepôt pour le pillage des corsaires.

Si la ville possède un noyau, c’est bien la statue surélevée de l’émir Abdelkader brandissant son épée. Au cœur de la Casbah, en face de la boutique d’un marchand de miel, Omar me montre un grand trou dans les bâtiments autrement serrés, des pièces carrelées ouvertes sur le ciel, la zone d’explosion non réparée des bombes françaises.

Alger a aussi ses préoccupations modernes, bien entendu. Les peintures murales de Riyad Mahrez, la star mondiale du football algérien, jouissent aujourd’hui d’une importance similaire à celle de l’ancienne iconographie des martyrs révolutionnaires tels qu’Ali La Pointe.

À la découverte de Constantine, la ville aux ponts suspendus

Il faisait nuit lorsque nous sommes arrivés à Constantine, l’autre ville historique d’Algérie. Cédant à mon impatience, Omar a contourné l’hôtel où nous devrions passer la nuit et s’est rendu directement au centre-ville. Il s’est garé à côté d’une passerelle faiblement éclairée, qui vacillait au-dessus d’un gouffre stygien. L’étendue réelle de ce gouffre n’est devenue claire que le lendemain matin.

À environ 300 km à l’est d’Alger, Constantine, baptisée par ses fondateurs numides « Cirta », est aujourd’hui une agglomération tentaculaire de plus de 400 000 habitants. Mais son centre occupe toujours le site choisi pour son emplacement imprenable : un promontoire calcaire qui s’élève à pic de 500 à 1 000 pieds au-dessus du fleuve Rhumel.

Omar délègue pour un laps de temps la fonction de guide à Billel Benguedouar, un jeune Constantinois polyglotte. Pendant que nous descendions le boulevard de l’Abîme et que nous nous engagions sur la route qui s’accroche au bord de l’escarpement vertigineux, il s’arrêtait de temps à autre pour sortir de son sac à dos des photos d’archives représentant les mêmes endroits tels qu’ils étaient il y a un siècle. Les routes n’étaient pas encore goudronnées et des vieillards en robe berbère déambulaient sur les trottoirs.

« Vous voyez là-bas ? » dit-il en montrant le ravin, où l’on peut voir des fragments d’une passerelle en bois boulonnée sur le mur opposé. Nous l’appelons le « Chemin des touristes ». Dans les années 1970, cette promenade à flanc de falaise, aujourd’hui abandonnée, permettait encore aux visiteurs d’explorer les arches et balcons naturels au fond de la gorge. Constantine comptait 20 hôtels dans sa seule Casbah. Tout cela a pris fin dans les années 1990, pendant la période de la « décennie noire ». Le chemin a été laissé à l’abandon, au même titre que le pont de l’époque ottomane en ruine, un peu plus haut sur la rivière.

 Khamej we bnin (خامج وبنين)

Billel a l’ambition d’exploiter l’environnement vertigineux de Constantine en le transformant en un lieu de sports extrêmes. « On pourrait y faire du saut à l’élastique », disait-il en désignant le pont suspendu de Sidi M’Cid. Un pont qui, pendant 17 ans après son inauguration en 1912, a été le plus haut du monde. Cependant, le plus spectaculaire des ponts de Constantine est la Passerelle. Au-dessus d’elle, les bâtiments de la vieille ville s’élèvent au même niveau que les falaises, comme s’ils avaient été érodés par la roche sur laquelle ils se dressaient.

Un peu plus haut dans la Casbah, un moulin à farine aux murs blanchis à la chaux purifie l’air d’une odeur d’épices et de blé dur. À l’approche de l’heure du déjeuner, des files d’attente se forment devant les étals de pains plats à la tomate. Une nourriture de rue connue sous le nom de « khamej we bnin » (sale et savoureux). À Constantine, le cadre splendide est trop souvent gâché par l’utilisation de la gorge comme gigantesque poubelle. L’expression « khamej we bnin », bien que malheureuse, semble ainsi convenir à toute la ville.

Timgad, la cité aux mille trésors archéologiques

Après quelques jours à Constantine, Omar nous conduit à Timgad, une petite ville entourée de collines, où nous avons déposé nos sacs dans les chambres caverneuses du nouvel hôtel Trajan. À seulement 300 pieds de son foyer aéré, nous avons foulé une route de dalles installée près de deux millénaires plus tôt. Les ruines de Timgad remontent au 1er siècle environ, lorsque l’empereur Trajan a créé une ville pour les vétérans de l’armée impériale de Rome.

Notre visite commence par un large « cardo » — la principale voie de circulation nord-sud dans les établissements romains — qui menait à un complexe tentaculaire de villas et de places. Sur toute sa longueur se trouvaient les vestiges d’une cité autrefois florissante : une place de marché, une bibliothèque et un théâtre à l’acoustique parfaite. Des dauphins en pierre ont été taillés dans les accoudoirs d’une latrine princière.

Au VIIIe siècle, après des incursions répétées de tribus berbères et d’envahisseurs vandales, la ville est abandonnée. Le flux et le reflux de l’empire, ainsi que le relief inhospitalier de l’intérieur de l’Algérie, ont fait que les trésors de Timgad sont restés intacts pendant des siècles. Le site n’est devenu un sujet d’intérêt pour les chercheurs qu’à partir de 1765, lorsqu’un consul écossais, James Bruce, a découvert par hasard les hautes colonnes du capitole qui dépassaient d’un dôme de sable.

Djemila, La Belle !

Le trajet entre Alger et Constantine comporte une autre ruine romaine exceptionnelle. Djemila, qui signifie « la belle », était presque déserte lorsque Omar et moi avons visité son site en pente. Cela donne l’impression de découvrir ses trésors pour la première fois. On peut y admirer un bain élaboré, une fontaine conique, un torse en marbre de Jupiter…

Les objets du musée adjacent n’étaient pas moins extraordinaires. Une mosaïque représentant des femmes nues aux larges hanches s’amusant avec des monstres chimériques était composée de tesselles de quelques millimètres de large. Il s’agit d’un niveau de complexité rarement atteint en dehors de Rome. Des dizaines de lampes à huile en terre cuite, chacune décorée de son propre motif, étaient disposées dans des vitrines.

Le prix de l’entrée pour visiter l’ensemble du site est de 130 dinars, soit moins d’un dollar. Vous auriez du mal à trouver une autre merveille archéologique où le rapport coût-récompense est aussi avantageux !

Observations sur le tourisme en Algérie

Épuisés, nous nous sommes rendus au Jardin d’Essai du Hamma. Un jardin botanique fondé en 1832, qui constitue, malgré l’usure du temps, un sanctuaire relaxant, loin de l’agitation de la capitale. Dans un café, je regardait un clown en salopette étoilée faire des animaux en ballons pour des enfants troublés par le spectacle.

Je ne peux prétendre que l’Algérie n’a pas de défauts en tant que destination touristique. Les hôtels, même les plus neufs, ont l’air fatigués. Traverser les routes fréquentées exigeait un acte de volonté. Les agents de l’État, douaniers ou policiers, semblent se méfier des touristes et des caméras ; comme s’ils ne comprenaient pas comment quelqu’un voudrait venir ici sans quelque arrière-pensée infâme.

Mais cette attitude réticente ne trouve guère d’écho chez la population. Avec elle, il n’y a aucun problème. La force homogénéisante de la culture occidentale reste en suspens. La nourriture — kebabs, bols de couscous et plateaux de chakhchoukha — était merveilleuse ! Dans les restaurants, comme ailleurs, les exclamations spontanées de « Bienvenue en Algérie » étaient courantes.

Le mot de la fin

En réalité, une semaine le long de la côte algérienne ne permet que d’effleurer la surface de son vaste territoire. Plus au sud, à travers un espace sans fin de plaines, de plateaux et de dunes, jaillissent des villes oasis dans des océans de sable et s’étalent des étendues de topographie désertique à faire pleurer de joie un dénicheur de lieux de tournage de la Guerre des étoiles.

« Je n’avais aucune idée de ce qui se trouvait ici », ai-je dit à Omar, paisiblement allongé à l’ombre des figuiers du jardin. C’est un sentiment dont l’industrie du voyage ferait bien de tenir compte.