Interrogé par Le Quotidien d’Oran au sujet des nouveaux dispositifs réglementaire et organisationnel régissant le secteur privé, le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Abdelmalek Boudiaf, a indiqué en substance que «la réforme touchant ce créneau a pour grand sceau l’intégration du secteur privé de la santé, dans le système national de la santé publique».
Cette nouvelle approche stratégique s’apparente à une «chirurgie lourde, mais réparatrice» opérée sur «le privé», segment qui a connu un essor considérable en Algérie depuis la promulgation de la loi 88-15 du 3 mai 1988, mais de manière peu contrôlée et ne consacrant pas forcément le principe légal, moral et éthique de la prépondérance de l’acte médical (sur le lucratif). M. Boudiaf a souligné que l’intégration du secteur privé de la santé dans le système national de la santé «n’est pas une vue d’esprit, mais une réalité, un fait».
L’article 214 de l’avant-projet sur la santé, examiné par le gouvernement fin mai 2015, est clair : «la création des structures et des établissements privés de santé doit répondre aux besoins de la population et aux normes définies par la carte sanitaire et aux priorités fixées par le schéma d’organisation sanitaire national et régional. Ces structures et établissements doivent satisfaire à des conditions techniques d’installation et de fonctionnement».
En outre, l’article 219 du même texte assigne au privé la mission du service public : «les structures et établissements de santé privés, appelés à assurer la mission du service public de santé, doivent répondre aux conditions d’un cahier des charges fixé par le ministre chargé de la santé et sont tenus d’établir un projet d’établissement, compatible avec les objectifs du schéma d’organisation sanitaire régional. Les modalités du présent article sont fixées par voie réglementaire».
A cet effet, le ministre a tenu à préciser qu’un cahier des charges rigoureux relatif aux prestations des établissements de santé privés est en train d’être confectionné, insistant sur la (nouvelle) condition «sine qua none» imposant au privé de se prévaloir d’un «projet d’établissement» qui soit compatible et en harmonie avec le schéma d’organisation sanitaire régional et ce, dans un souci de «mettre de l’ordre dans ce secteur privé et de l’intégrer dans la politique sanitaire nationale».
La «complémentarité» entre le public et le privé «en matière d’offres de soins» est l’une des idées-forces de la nouvelle politique du système de santé national, version Boudiaf, lequel système est marqué jusque-là par une «dichotomie» public/privé, selon le rapport d’audit portant «diagnostic, bilan et perspectives» du secteur de la santé remis dernièrement par le département d’Abdelmalek Boudiaf au président de la République, Abdelaziz Bouteflika. Un audit «exhaustif et sans complaisance», selon M. Boudiaf, où dans sa section «structures et établissements privés de santé», page 18, il est fait treize griefs majeurs à l’égard du secteur privé.
Parmi lesquels : un secteur privé non intégré dans le réseau de soins de la politique nationale de santé et non contrôlé, une implantation des structures qui ne répond pas à une logique de carte sanitaire (autant dire aléatoire), un bon nombre de structures privées réalisées par transformation d’habitations (problème d’accessibilité, non-conformité architecturale ), sans autorisation en plus, détournement illégal du personnel médical et paramédical des hôpitaux publics, anarchie dans les honoraires et les coûts des actes et non-affichage des tarifs des prestations, non-participation du privé dans la prévention et les urgences, absence de coopération institutionnalisée entre les secteurs public et privé, absence de cahier des charges, absence de normes en termes d’organisation des activités médicales, non-respect de la réglementation en matière d’exercice personnel des activités réglementées.
Concernant ce dernier point justement, le ministère de la Santé a gelé l’activité complémentaire comme première étape avant son interdiction par voie réglementaire, «mais pas avant la revalorisation des salaires des personnels hospitaliers, laquelle aura un effet dissuasif supplémentaire sur le recours à l’activité complémentaire», a confié au Quotidien d’Oran un cadre central du ministère de la Santé, lors d’une récente rencontre nationale d’évaluation tenue à l’Institut Pasteur d’Alger.
La mise sous son contrôle «direct» des privés est l’une des mesures nouvelles que le département ministériel de la Santé va mettre en œuvre pour instaurer l’ordre et ce, au travers de l’implication -par force de loi- de l’autorité institutionnelle dans le conseil d’administration des établissements de santé privés. Il s’agit en fait d’une «application effective et intransigeante», insiste-t-on au département de la Santé, du décret exécutif 07-321 du 22 octobre 2007 portant organisation et fonctionnement des établissements hospitaliers privés.
En d’autres termes, il sera fait obligation aux cliniques privées d’avoir au sein de leur conseil d’administration un représentant de la CNAS, de deux représentants des associations des usagers, d’un représentant des praticiens médicaux élu par ses pairs et idem pour les praticiens paramédicaux.
Aussi, des conditions professionnelles rigoureuses sont requises pour le poste de directeur assurant la gestion de l’établissement privé. Le gérant doit communiquer à la DSP de wilaya, entre autres documents, la liste nominative avec copies des titres et diplômes du personnel médical et paramédical interne, ainsi qu’un bilan trimestriel des activités de l’établissement, lequel doit se doter d’un comité médical.
Les privés seront soumis à un contrôle «drastique» du ministère de tutelle sur notamment : la qualité des prestations, la gestion et l’hygiène hospitalière, les équipements et les matériels, la sécurité des biens et des personnes. En cas de constatation d’un manquement, l’établissement privé est mis en demeure et un ultimatum d’un mois lui est accordé.
En cas d’inobservation de la mise en garde, il encourt les sanctions administratives allant de la suspension d’exercice pendant deux mois à la fermeture pendant une durée inférieure ou égale à trois mois jusqu’au retrait de l’autorisation d’exercice qui lui a été délivrée par le ministère de la Santé.
Et pour faire un tant soit peu de ménage dans le tableau de disparité des tarifs des prestations médicales chez le privé en général, le ministère de la Santé, qui reconnaît que les tarifs du secteur privé sont «extrêmement excessifs et très souvent sans commune mesure avec l’acte médical ou chirurgical prodigué», affirme que «la révision des tarifs de santé chez les privés est un dossier urgent», précisant qu’il y a un travail entrepris en ce sens en partenariat avec le ministère du Travail et la Caisse de sécurité sociale.
«Le but est d’unifier la tarification, dans un système de contractualisation et de réforme hospitalière, pour répondre aux standards internationaux», fait savoir un haut cadre du ministère de la Santé, indiquant que «nous allons vers des tarifs unifiés des prestations médicales qui seront imposés, s’il le faut, au privé».