Un témoignage en spirale sur Smaïl Yefsah

Un témoignage en spirale sur Smaïl Yefsah

« Souviens-toi, ô Algérie, de Smail Yefsah et de tous les autres », est un livre de Abderrahmane Yefsah publié à compte d’auteur en septembre 2015.

Dans ce récit poignant, Abderrahmane Yefsah nous parle de son frère Smaïl, assassiné à Alger près de son domicile le 18 octobre 1993. Jeune journaliste et déjà star de l’unique chaîne télévision algérienne, adulée par un large public pour les innovations et l’audace qu’il y introduisait au bonheur des téléspectateurs, Smaïl Yefsah est parti en laissant derrière lui un vide jamais comblé et un deuil insurmontable.

D’une plume acérée et fouillée, le grand frère qui ne s’est jamais remis de ce drame, étale sa douleur sur une encre dense qui absorbera en partie, espère-t-il, un deuil lourd à porter. Exercice pénible pour une thérapie incertaine!

Au fil de ce témoignage en spirale dans une descente douloureuse au cœur de sa blessure encore béante, l’auteur exhale avec des mots de chair et de sang sa colère et sa souffrance soutenues par une dignité remarquable. Ni haine, ni vengeance ne transpire des sentiments de cet écorché vif qui semble nous dire que le bien ou le mal n’est pas dans l’homme, mais dans les valeurs qui façonnent son éducation. Et, le concernant, il nous instruit sur les siennes, héritées de la sagesse des ancêtres et de l’humanisme universel qui font l’homme et non son prédateur.

Dans un élan de lucidité non dépourvue de générosité dont il ne prive nullement les assassins de son petit frère, il projette son malheur dans une glorification de la vie, loin de toute violence.

Son livre est un cri dans le noir pour un appel à la conscience humaine afin qu’elle s’éclaire dans ce monde obscurci par la bêtise et le crime érigés en commandements divin. Justice et vérité, voilà les seules sanctions qu’il réclame contre l’innommable et le mutisme institutionnel.

Des questions sans réponses probantes sur le drame qui l’a endeuillé et des réflexions intimes sur le sens des choses et de la vie accompagnent l’évocation de souvenirs égrenés au carrefour de trois destins croisés dans une même tragédie. Celui de son jeune frère disparu, un candide, dévoué à sa profession de journaliste dans un contexte politique trouble où il est une cible privilégiée, celui de sa famille paysanne au patriotisme éprouvé, lacérée par des chagrins sans répit et au-delà, celui de son peuple en bute à l’oppression et aux guerres incessantes depuis des siècles.

L’écriture de Abderrahmane Yefsah qui n’est pas à son premier livre, il a déjà publié « Et Caïn tua Abel », épouse singulièrement ici, le rythme délirant d’une douleur fiévreuse sur une blessure vive.

Abderrahmane Yefsah est membre de l’association des familles des victimes du terrorisme de Tizi-Ouzou, il a fait ses études aux beaux-arts.

Mokrane Gacem