Outre les clins d’œil aux classiques du cinéma mondial, Hors-la-loi est une fiction cinématographique profonde, par laquelle le réalisateur ouvre une lucarne dans la grande histoire, avec une émotion vraie et maîtrisée.
“La guerre crée plus de méchants qu’elle n’en supprime”, disait Emmanuel Kant. Cette citation correspond parfaitement au propos du long métrage, Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, projeté pour la presse, hier matin, à la salle El-Mouggar, en même temps qu’à Cannes, puisque le dernier né de Bouchareb, film algérien de surcroît, est en compétition officielle de la 63e édition du prestigieux rassemblement cinématographique de Cannes. Dans cette production algéro-franco-italo-tuniso-belge, financée à 25% par l’Algérie, Rachid Bouchareb ne distingue pas entre les bons et les méchants.
Ce sont des hommes, pris dans le tumulte de la guerre, qui agissent, puisque pris dans un engrenage et comme le dit si bien un des personnages du film, “la révolution est un bulldozer, elle détruit…” Le cinéaste ne s’attarde pas non plus sur les massacres du 8 Mai 1945. Ce fait historique n’est pas une conséquence dans le film, plutôt une cause à la séparation d’une famille algérienne de Sétif, chassée de sa terre en 1925.
Hors-la-loi, c’est l’histoire de trois frères, dont les destins sont déterminés par les choix. L’aîné de la famille Souni, Messaoud (Rochdy Zem) s’engage en Indochine.
Abdelkader (Sami Bouadjila), l’intello, participe aux manifestations du 8 Mai 1945, et échappe de justesse au massacre des Algériens sortis exprimer leur joie, croyant ainsi aux fausses promesses de la France coloniale. Abdelkader est, cependant, arrêté et écopera d’une peine de dix ans de prison.
Le cadet de la famille, Saïd (Jamel Debbouze), fuit le pays pour la France, suite au massacre de son père et de ses deux sœurs.
Saïd et sa mère s’installent dans un bidonville à Nanterre. Ils attendent et espèrent le retour des deux survivants de la famille, dont l’avenir reste — à ce niveau du film du moins — hypothétique. Les années passent, la guerre en Indochine se termine, et Messaoud rejoint sa mère et son frère. Abdelkader sort de prison et rejoint le reste de sa famille, avec une formation politique en poche, un éveil patriotique et une grande détermination ont aidé l’Algérie à briser les chaînes du colonialisme. Messaoud se marie et fonde une famille.
Saïd fait des affaires, devient propriétaire d’un cabaret à Pigalle baptisé Casbah, et organise des combats de boxe qui lui rapportent de grosses sommes d’argent. Quant à Abdelkader, il milite dans les rangs de la Fédération de France, et prend même la tête de ce mouvement pour l’indépendance de l’Algérie.
Messaoud seconde son frère Abdelkader, et accomplit son devoir en se battant pour la juste cause algérienne. La vie ne sera pas toujours clémente avec la famille Souni et c’est son choix qui déterminera son avenir.
Une petite lucarne dans la grande histoire
Avec ce deuxième volet de la trilogie consacrée à l’Algérie (après Indigènes en 2006 et en attendant le 3e volet qui sera consacré à toute l’histoire de l’émigration au Maghreb et en Afrique), Rachid Bouchareb passe en revue un pan de l’histoire tumultueuse, ponctuée par des relations houleuses, entre l’Algérie et la France.
Le réalisateur a choisi d’ouvrir une petite lucarne dans la grande histoire et de traiter d’une période, assez mouvementée, qui s’étale de 1925 à 1962. Mais ce qui est étonnant dans Hors-la-loi est que chacun des trois frères cherche la rédemption, et c’est ce qui rehausse cette fiction au rang d’œuvre artistique.
C’est auprès de sa mère que Messaoud trouvera du réconfort ; c’est en tentant de sauver ses deux frères que Saïd se lavera de ses péchés ; et c’est en protégeant les siens que Abdelkader pourra partir en paix.
Hors-la-loi c’est aussi et surtout une fiction bien construite, une trame bien ficelée, une importante démarche esthétique, et une exceptionnelle distribution d’acteurs. Rochdy Zem est époustouflant, Jamel Debbouze est quasiment méconnaissable et très touchant, et Samy Bouadjila est la véritable révélation de ce film.
Ces trois comédiens, pétris de talent, ont été totalement crédibles dans leurs rôles de fils de la grande Chafia Boudraâ, toujours aussi forte et aussi présente. Bien que leurs rôles n’aient été que secondaires, Ahmed Benaïssa dans le rôle du père, Larbi Zekkal dans le rôle du Caïd et Mourad Khan qui a campé le rôle du propriétaire du bar du bidonville, militant du MNA, leur personnage n’est pas passé inaperçu.
Filmant ses personnages au plus près des corps et des visages, et avec parfois des plans américains, Rachid Bouchareb propose des images parfois oppressantes, et réussit à rendre compte du malaise et du trouble qui caractérise tant les guerres. On dénote dans la sensibilité du regard de Rachid Bouchareb, une maîtrise totale de la machine émotion.
Il ne s’attarde pas sur les détails, mais on peut les trouver dans un regard, un sourire, un sanglot ou une accolade. Dans Hors-la-loi, on retrouve aussi quelques clins d’œil au cinéma mondial, notamment au Parrain, aux Incorruptibles ou encore au Roi Lear. Hors-la-loi, dont la version visionnée n’est pas encore finalisée, n’est pas encore achevée, est une fiction profonde avec une émotion vraie savamment dosée.
Sara Kharfi
Fiche technique
Hors-la-loi
Durée : 2h18
Réalisation : Rachid Bouchareb
Scénario et dialogues : Olivier Lorelle et Rachid Bouchareb
Production : Algérie, France, Tunisie, Italie, Belgique
Musique originale : Armand Amar
Directeur de la photographie : Christophe Beaucarne
Distribution : Jamel Debbouze (Saïd), Rochdy Zem (Messaoud), Samy Bouadjila (Abdelkader), Chafia Boudraâ (la mère), Bernard Blancan (Colonel Faivre)
Sortie en salle : 22 septembre 2010