Une gouvernance inclusive pour une Algérie de demain

Une gouvernance inclusive pour une Algérie de demain

Par Aïcha Madi(*)
C’est en prenant part aux manifestations du vendredi dans les rues d’Alger cet été que j’ai réalisé avec inquiétude que l’histoire risquait peut-être de se répéter, que les fruits de cette révolution dite du sourire risquaient peut-être d’être confisqués à la femme algérienne. Pourtant, pour qu’une nouvelle Algérie démocratique naisse, la femme doit avoir une place dans la gouvernance.

C’est en fait en voyant les femmes si impliquées dans le soulèvement depuis son début en février 2019, mais en les voyant se faire trop souvent rejeter à la moindre revendication féministe, que je n’ai pu m’empêcher de me demander s’il serait possible que la femme soit invitée à conserver sa même place traditionnelle et ses mêmes droits dans l’Algérie post-révolution.
Après tout, ce scénario s’était déjà produit après la révolution pour l’indépendance en 1962 où l’on vit des anciennes combattantes remerciées pour leur contribution au mouvement de décolonisation, mais rejetées de la nouvelle vie politique du pays. Je n’ai donc pu m’empêcher de me demander si tous ces efforts de mobilisation aujourd’hui pouvaient risquer d’encore une fois n’aboutir qu’à l’amélioration des conditions de vie et des droits d’une moitié des citoyens, celle des hommes. En ce climat de rigidité envers les idées féministes en Algérie, il importe plus que jamais de rappeler qu’aucune démocratie n’est atteignable sans une égalité des sexes. Sans transition démocratique qui prévoit une accession des femmes à la sphère de gouvernance, la révolution en cours risque de ne pouvoir aboutir à ses aspirations de démocratisation.

L’égalité comme condition de la démocratie
Combien de fois des «ce n’est pas le moment» ont été lancés à des femmes revendiquant l’abrogation du code de la famille depuis le début de la «révolution du sourire»? Pourtant, il suffit de s’intéresser à l’essence du concept de démocratie pour comprendre qu’elle est inatteignable si elle n’inclut pas l’égalité des droits pour tous.
En grec, dêmos signifie peuple et kratos pouvoir. Dans tout système politique qui prétend être démocratique, le pouvoir doit ainsi appartenir à l’ensemble des citoyens et garantir l’égalité des droits(1). Lutte pour démocratie et lutte pour droit des femmes deviennent indissociables. L’inclusion de l’égalité des sexes, bien qu’elle constitue un défi, car elle bouleverse des habitudes enracinées dans les sociétés, doit se retrouver au cœur des revendications et des feuilles de route de toute société qui aspire à l’établissement d’une démocratie réelle, efficace et durable. Elle en est une condition.

Les femmes dans la transition démocratique
Plusieurs chercheurs lient l’échec des processus de modernisation et de démocratisation passés à la négligence de la question d’égalité des sexes dans les stratégies déployées(2). C’est par exemple le statut plus égalitaire de la femme tunisienne dans la Constitution qui explique en partie pourquoi la Tunisie est le seul pays toujours enligné avec sa transition démocratique parmi tous les pays touchés par le printemps arabe(3). Afin qu’une rupture avec un ancien régime et une démocratisation réussissent, une rupture avec toutes les mauvaises pratiques qui contredisent la démocratie s’imposent. Au-delà de pouvoir occuper un rôle dans les révolutions et les chutes des régimes, les femmes doivent également demeurer dans l’espace public une fois la transition politique entamée pour pouvoir participer à la gouvernance.
La démocratie concerne le droit et la voix de tous les citoyens ; plus une transition prend en compte les droits des femmes, plus elle aura de chance de réussir. La tournure que prit la construction de la nouvelle Algérie au lendemain de l’indépendance en 1962 bousilla les efforts de la révolution, à commencer par la décision de refuser aux anciennes combattantes l’accès à des postes de gouvernance.
Cette fois, avec cette «révolution du sourire», l’intégration des femmes dans la gouvernance et l’adoption de valeurs féministes d’égalité doivent figurer dans l’agenda.
Face à un double rôle de se battre pour une transition politique et pour leurs propres droits, les femmes méritent la rupture avec la culture d’oppression envers leurs droits et l’instauration d’une gouvernance inclusive. C’est toute la viabilité de la «révolution du sourire» qui y repose.
A. M.

* étudiante au master en sciences politiques à l’Université de Montréal).