Mohamed Boudiaf posait, alors qu’il était dans l’opposition, la question pertinente de savoir où allait l’Algérie ? Où va, en effet, l’Algérie ? Où Abdelaziz Bouteflika et son frère Saïd qui lui sert de béquille veulent conduire notre pays ?
Quinze ans de pouvoir sans partage que seuls les monarques de droit divin en ont eu dans l’histoire obscure de l’Europe. La République algérienne est devenue avec Abdelaziz 1er le royaume des Bouteflika comme Rome fut celui de Néron. Jean Racine a fait de Néron, qui laissa d’abord à sa mère, Agrippine, avant de l’assassiner, tout le pouvoir, le héros de sa tragédie Britannicus. Rien n’avait été épargné à son peuple et « quiconque refusait de l’admirer recevait son arrêt de mort ».
A l’exemple de Néron qui, tué par un esclave, laisse entendre : « Quelle artiste le monde va perdre », Abdelaziz Bouteflika était prêt, en 1999, à laisser les Algériens à leur médiocrité et les abandonner à leur malheur, s’ils ne l’élisaient pas par un vote massif. « Je ne suis pas chargé de faire leur bonheur malgré eux », avait-il lancé. Si les Algériens ne se sont pas, en effet, jetés à ses pieds pour faire leur bonheur, ils ne lui ont pas demandé de faire leur malheur.
Tout le règne de Bouteflika est fondé sur le rapport de force physique, la dissimulation, le mensonge, la corruption et le régionalisme.
En effet, depuis qu’il a été porté à la présidence de la République, Abdelaziz Bouteflika n’a pas cessé de tenir un double discours, tel discours en direction de l’armée et des « démocrates », tel autre en direction du peuple et des « islamistes » dont il aurait rejoint les maquis s’il avait encore vingt ans. Tout est comme ça chez Abdelaziz Bouteflika. Il entretient toujours le clair obscur. Il aurait, sans doute, fait une bonne copie Rembrandt. Deux fers au feu en permanence, il mange avec le loup et pleure avec le berger. Passons tous les grands écarts auxquels il s’est livré durant ces longues années de pouvoir qui auront le plus ruiné et détruit l’Algérie, pour ne retenir que les mensonges, les siens, ceux de sa smala qui menait grand train à Paris avec la casette de l’Etat pendant l’hospitalisation du président de la République, et de ses ministres qui l’on se demande comment peuvent-ils encore se regarder dans une glace après tous les bobards qu’ils ont proférés. A commencer par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, qui prétendaient tenir, d’une main ferme, la boutique, en liaison constante avec le chef de l’Etat, alors que nous savions pertinemment qu’il ne pouvait ni se mouvoir ni parler, ayant été pendant plusieurs semaines dans un état quasi comateux.
Les mensonges et la comédie continuent après que Abdelaziz Bouteflika, sentant son royaume s’écrouler sous son fauteuil roulant, ait regagné le pays le 16 juillet dernier, s’étant à peine montré à la télévision. Devenu l’imam caché, c’est de derrière le voile que les affaires de l’Etat sont conduites. En vérité, ni Abdelmalek Sellal ni Mourad Medelci qui tient « sa force » de la complicité régionaliste, n’étaient en contact avec le président de la République, ne pouvant pas même prendre ses proches au téléphone, l’homme étant aphasique, et personne n’a vu le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères faire des va et vient à Sidi Fredj où une clinique ultramoderne a été mise en place pour les soins du résient . Peut-être, le chef de l’Etat communiquait-il par télépathie, encore là son cerveau est trop abîmé pour se livrer à cette pratique de transmission de pensée.
Il ne faut pas prendre ainsi les Algériens pour des imbéciles ou pour un peuple de crédules qui gobe tous ce que ses dirigeants lui racontent, d’autant qu’il les a, souvent, pris en flagrant délit de mensonge. Lors de l’hospitalisation de Abdelaziz Bouteflika en France pendant 80 jours, le Premier ministre et les membres du gouvernement nous racontaient des histoires que seule Juliette était susceptible d’entendre. Pour eux, le président de la République, victime d’un accident ischémique transitoire, sans gravité et sans séquelle, qui devient un AVC, devait revenir au pays dans la première semaine du mois de mai. Il n’y retournera que deux mois et demi après un long séjour à l’hôpital du Val de Grâce, puis à l’Institution militaire des Invalides spécialisée dans les handicaps lourds.
En dépit de toutes les évidences, les mensonges de Sellal et de son équipe se sont multipliés, et cela se poursuit. La semaine dernière encore, il était annoncé, officiellement, la tenue d’un Conseil des ministres qui ne peut être présidé que par le chef de l’Etat, pour le 28 août, reporté au 4 septembre, avant que nous apprenions, finalement, que ce Conseil des ministres « se tiendra le jour où il se tiendra », selon la « raffarinade » de Abdelmalek Sellal pour qui, très curieusement, « tenir un Conseil des ministres [où toutes les décisions se prennent] n’est pas nécessaire. »
Le Premier ministre qui a cumulé les bourdes s’est, sans doute, fait taper sur les doigts par le vice-roi, Saïd Bouteflika qui fait office, à lui tout seul, de pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Ce petit bonhomme qui paraît timide est aussi féroce que Toto Riina, laissant rien ni personne marcher sur ses plates bandes. Il est le maître d’El Mouradia, et entend le rester, durant les cinq prochaines années, en faisant de son frère grabataire le candidat le mieux à même de protéger les criminels de guerre et contre l’humanité, type Khaled Nezzar dont l’audition en Suisse est proche.
Au mensonge s’ajoute la corruption à très grande échelle qui a marqué de son empreinte les quinze années de règne des frères Bouteflika. C’est que ces gens là font dans l’industrie lourde, pas dans l’artisanat. Sonatrach ou rien, comme aurait, peut-être, dit Victor Hugo. Qui tient le pétrole et la rente pétrolière tient le pays et les hommes. En veux-tu en voilà pour tous les courtisans qui se bousculent au portillon et appellent à un quatrième mandat. La bourse n’est-elle pas encore bien remplie ? Des milliards de dollars sont passés des caisses de l’Etat dans les poches de ces hommes au pouvoir et du pouvoir, qui nous serinent à longueur de journée leur patriotisme. Aimer l’Algérie, aujourd’hui, c’est la piller, la plonger dans la misère, la dépendance et la charité publique internationale.
L’effusion n’a pas cessé, malgré les incessantes dénonciations de la presse qui met, presque tous les jours, à la une les malversations et les concussions de ceux qui tiennent le pouvoir et, par voie de conséquence, l’économie du pays.
Sans la justice italienne, Chakib Khelil et Farid Bedjaoui, les amis honorables des Bouteflika, auraient continué à se livrer à leurs criminels détournements. Les soit disant mandats d’arrêts, lancés par une justice algérienne aux ordres de la fratrie, Interpol les attend toujours. Que le procureur de la République publie les documents envoyés pour récupérer ces malfaiteurs et les juger pour les condamner comme ils le méritent. Ces deux noms jetés en pâture à la population, l’enquête s’en est arrêtée là, sans que leurs complices se trouvant au plus haut niveau de l’Etat en soient auditionnés.
La raison est bien simple : les hommes qui se tiennent les uns les autres par la barbichette sont issus de la même région. Ils se soutiennent comme une ‘assabiyya tribale. Le troisième triptyque de la gouvernance de Abdelaziz Bouteflika, c’est, en effet, le régionalisme. Ce régionalisme qui a cassé la nation algérienne, à tel point que le danger d’un éclatement guette le pays. Au gouvernement, à part les coquins, les copains et les serviles, la moitié des ministres sont originaires de la même région, à commencer par le ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, poste occupé auparavant par Nourredine Yazid Zerhouni, et par l’inamovible ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci.
Les Algériens en ont marre de cette gouvernance familiale et tribale qui doit absolument finir en avril prochain si l’on ne veut pas que l’Algérie aille à la catastrophe. Quinze ans d’errance et de gabegie, cela suffit. Les jeunes algériens ont envie et besoin de connaître d’autres hommes et d’autres choses.