La hausse des prix, ce cauchemar national qui éclabousse les petites bourses et qui a quasiment enrayé la classe moyenne en Algérie, est-elle une fatalité ?
Kamel Amarni – Alger (Le Soir) – Depuis que le pays a opté pour «l’économie de marché», à la fin des années 80, c’est devenu une vraie constante nationale : en période de pénurie ou d’abondance, les prix évoluent immanquablement en hausse. Toujours.
Et quelles que soient les mesures prises par le gouvernement, le rituel est immuable : les prix flamberont quand même à l’approche des grandes occasions, comme la rentrée sociale, le Ramadhan ou les fêtes de l’Aïd. Le ministère du Commerce, censé réguler le marché, trouve, toutefois, refuge derrière ce confortable prétexte : le marché étant libre, l’État ne peut intervenir sur les prix.
Un argument qui avait fini par excéder Bouteflika qui malmènera bruyamment son ministre du Commerce, Hachemi Djaâboub, en plein Conseil des ministres, en août 2009. «Mais arrête donc de me raconter cette histoire à chaque fois ! Je ne veux plus entendre cette histoire.» Il le charge alors de préparer une loi qui permettra à l’État d’intervenir directement dans la régulation du marché, via les prix.
C’est «la loi modifiant et complétant l’ordonnance n° 03-03 du 19 juillet 2003 relative à la concurrence », dont l’avant-projet a été approuvé en Conseil des ministres le 11 mai dernier et dont nous avons pu obtenir une copie. Dans l’exposé même des motifs de cet avant-projet, le coup de gueule de Bouteflika précédemment cité a été repris ! Certes de manière édulcorée.
«J’entends qu’aucune règle de liberté du commerce ne soit invoquée à l’avenir pour justifier la limitation des capacités de l’État à imposer des pratiques commerciales loyales et à réprimer les spéculations qui nuisent aux citoyens.»
C’est ce que permet désormais la loi modifiée. Celle-ci annonce, en effet, dès son article 2 que «les dispositions de la présente ordonnance s’appliquent (…) aux activités de production, y compris agricoles et d’élevage, de distribution dont celles réalisées par les importateurs de biens pour la revente en l’état, les mandataires, les maquignons et chevillards, de services, d’artisanat et de la pêche, ainsi que celles qui sont le fait de personnes morales publiques, d’associations et de corporations professionnelles, quels que soient leur statut, leur forme et leur objet, (ainsi que) aux marchés publics, à partir de la publication de l’avis d’appel d’offres jusqu’à l’attribution définitive du marché ».
D’emblée donc, l’État étend, à travers cette loi, son domaine d’intervention à tous les segments du marché et de l’activité économique et commerciale.
Une libre concurrence sous haute surveillance !
Un autre article est ajouté à l’ordonnance sur la concurrence qui s’attaque carrément à un sujet «tabou» dans la sphère économique : l’intervention directe de l’État dans la fixation des prix. Ainsi, l’article 4 de cette nouvelle loi stipule expressément que «les prix des biens et services sont librement déterminés par le jeu de la libre concurrence».
Mais précise tout de suite après : «La liberté des prix s’entend dans le respect des dispositions de la législation et de la réglementation en vigueur ainsi que des règles d’équité et de transparence concernant notamment : la structure des prix des activités de production, de distribution, de prestation de services et d’importation de biens pour la revente en l’état, les marges bénéficiaires pour la production et la distribution des biens ou la prestation de services, la transparence dans les pratiques commerciales.»
Ce texte ira plus loin dans son article 5 lorsqu’il prévient : «Il peut être procédé par voie réglementaire à la fixation, au plafonnement ou à l’homologation des marges et des prix de biens ou services ou de familles homogènes de biens et services. Les mesures de fixation, de plafonnement ou d’homologation des marges et des prix des biens et services sont prises sur la base des marges et des prix proposés par les secteurs concernés et pour les principaux motifs suivants : la stabilisation des niveaux des prix des biens et services de première nécessité ou de large consommation, en cas de perturbation sensible du marché ; la lutte contre la spéculation sous toutes ses formes».
À bien lire ce qui est prévu par ce dispositif législatif, il est aisé de conclure que la préoccupation première de ses «rédacteurs» reste, bien évidemment, l’anticipation sur toute éventuelle grogne sociale.
Car le même article 5 poursuit comme suit : «Peuvent être également prises, dans les mêmes formes, des mesures temporaires de fixation ou de plafonnement des marges et des prix des biens et services, en cas de hausses excessives et injustifiées des prix, provoquées notamment par une grave perturbation du marché, une calamité, des difficultés durables d’approvisionnement dans un secteur d’activité donné ou une zone géographique déterminée ou par des situations de monopoles naturels. » Manifestement, rien n’est laissé au hasard et tous les cas de figure sont pris en considération pour endiguer les flambées répétitives des prix des produits et des biens.
Et même qu’il y est introduit un article 66 bis, qui stipule que les dispositions de la présente ordonnance sont précisées, en tant que de besoin, par voie réglementaire ». Hachemi Djaâboub disposera, dès lors que cette loi sera adoptée par le Parlement, de tous les instruments nécessaires pour servir. Et il est fort à parier que les milieux islamistes dont il est issu en seront les plus grands perdants…
K. A.