Ils étaient nombreux à venir poser leurs cadenas
Le célèbre «pont des suicidés» du Télemly s’est transformé, en l’espace d’une journée, en un pont de l’Amour à l’occasion d’une opération ingénieuse «Peace and love» lancée par un trio de journalistes.
Ils sont venus! Ils étaient là! De très beaux couples de jeunes Algériens sont venus hier munis de cadenas décorés pour sceller la chose la plus merveilleuse au monde: l’Amour!
Des dizaine de personnes ont occupé hier le temps d’un espoir, le pont du Télemly au coeur de la capitale et qui était jusque-là célèbre pour ses suicides pour attacher sur son grillage un cadenas. Le cadenas qui fixera leur amour à jamais!
11h tapante. Comme prévu, des dizaines de personnes commençaient à affluer sur les lieux. En couples ou seules, plusieurs personnes sont venues munies d’un cadenas et de beaucoup d’amour. Un seul message, l’Amour au sens pluriel du terme, qu’il soit teinté de passion ou d’amitié, mais aussi de patriotisme.
Des moments ensoleillés qu’un islamiste mal intentionné n’a pu ternir. En nous apostrophant, il nous demanda si nous étions des musulmans. Une entrée en matière complètement décalée qui nous laissa pantois et nous confortera dans notre indifférence vis-à-vis de son ignorance moyenâgeuse et renforcera notre conviction dans l’amour de l’Autre. Bien qu’ils étaient une dizaine, l’ambiance était conviviale.
Composée de jeunes badauds, d’activistes, d’artistes, quelques journalistes et photographes, mais aussi d’un réalisateur venu capter quelques images pour le compte de son prochain documentaire, portant justement sur l’Amour en Algérie, l’assistance fort enthousiaste a pu savourer aussi quelques moments de divertissement musical grâce au sympathique Mehdi venu jouer de la guitare et chanter à la bonne franquette pour ceux et celles qui voudraient bien l’écouter.
Au-delà de l’appel à l’Amour, à la fraternité que suggère cette action, c’est son caractère «libre» et se déclinant dans un espace public dont il faudra retenir la noble démarche qui a poussé de nombreux individus, garçons et filles à sortir de chez eux pour venir clamer haut et fort dans la rue, symboliquement parlant, leurs droits à l’amour à l’instar des jeunes gens de leur âge du monde entier. Un pied de nez à l’image acquise qu’on a du pont du Télemly considéré cyniquement comme l’apanage des suicidés. «C’est une lueur d’espoir et un pas en avant. «Faisons l’amour et pas la guerre», a confié Rym, une jeune maman venu attacher son cadenas gravé aux initiales de son fils. Voilà un phénomène qui s’est développé dans plusieurs villes du monde vient de naître à Alger n’en déplaise aux esprits revanchards qui nous taxent de suiveurs. Les cadenas de l’amour, une action symbolique mais forte en signification.
Les initiateurs ont réussi à rassembler des dizaines de personnes qui n’ont pas hésité à venir et sceller leur amour avec leur moitié.
L’action a eu lieu en présence de la représentante du maire d’Alger-Centre ce dernier n’a pu être présent étant retenu pour d’autres obligations. Cette opération a permis, d’une part, de redonner espoir à cette jeunesse en manque de repères à travers un acte symbolique.
«C’était réjouissant de voir toutes ces personnes, tout âge confondu, venus d’horizons divers se retrouver pour une même cause. Pour une fois, un rassemblement pacifique revendiquant un sentiment noble. Un chouia d’amour dans un monde de brutes ne peut qu’être bénéfique», confie, pour sa part, Amine venu sceller 20 ans d’amitié avec son amie.
Une louable initiative qui nous change des discours creux sur l’amour, la fausse réconciliation et les kermesses folkloriques. Pour une fois, «on a tenté de donner un sens à l’amour, loin des tabous, dans un pays meurtri par la violence et qui cultive la haine en permanence», dit Karim avec un haut le coeur.
«J’espère que ce n’est qu’un début pour d’autres initiatives similaires. Les initiateurs qui ont eu cette géniale idée sont à féliciter car la symbolique cultive la mémoire mieux que tous les discours», conclut-il avant de prendre une guitare et chanter son soutien.
Enfin, une première en Algérie. Alors que le Monde arabe étouffe actuellement et sombre de plus en plus dans les ténèbres de l’islamisme, des jeunes Algériens ont prouvé hier leur farouche désir publiquement et pacifiquement de briser leurs chaînes, de s’affranchir du poids des tabous liés à l’Amour et le revendiquer haut, le cadenas.
Mehdi Mehenni, un des initiateurs
«Il ne faut plus avoir peur du regard de l’Autre»
L’Expression: Quelles sont vos impressions sur cette première journée des cadenas de l’Amour d’Alger?
Mehdi Mehenni: Je tiens tout d’abord à féliciter les couples algériens, car il y en a. Ils sont venus de Tizi Ouzou comme de Skikda, et non pas seulement Alger pour sceller leur amour, d’avoir cru à l’espoir et surtout de l’avoir revendiqué publiquement. Mon impression sur l’événement du jour, c’est que même si le nombre de participants sur le pont du Télémly n’a pas été aussi impressionnant que celui des adhérents sur la page Facebook des Cadenas de l’Amour d’Alger, il y a en a quand même qui ont répondu à l’appel, d’une manière que beaucoup d’adeptes de préjugés sur la société, refuseront de croire que cela s’est passé en Algérie. Il fallait voir ce barbu qui est venu mettre en garde ce groupe de jeunes couples de sceller leur amour par l’argument du châtiment de Dieu, comment il a été gentiment invité à rebrousser chemin pour s’occuper de sa propre conscience religieuse.
Quelles sont vos attentes après la concrétisation de cette action citoyenne?
Comme nous sommes au début d’une action qui vise à décomplexer la société de certaines idées reçues, de quelques réticences liées à la liberté de vivre pleinement sa vie et son bonheur, nous comprenons qu’il y en a qui préfèrent venir sceller leur amour sur ce même lieu, mais loin des regards. Mais ce n’est qu’une étape et nos attentes, c’est justement de voir ce genre d’action se transformer en comportement de groupe, qui s’assume publiquement, plutôt qu’un geste individuel qui a peur du regard de l’Autre (la société).
Quelles sont vos perspectives pour l’avenir?
Nos perspectives tirent réellement leurs sources de l’appel des adhérents et membres de la page Facebook des Cadenas de l’Amour d’Alger. Comme beaucoup n’ont pas eu la possibilité de se déplacer des différentes wilayas du pays pour venir à Alger sceller leur amour, évidemment pour plusieurs raisons, ils espèrent voir cette action s’élargir sur le territoire national. La prochaine action sera celle de dédier à chaque wilaya du pays ses cadenas de l’Amour.
Le premier couple qui a scellé son cadenas, l’a fait bien des heures avant l’instant convenu pour l’inauguration officielle de l’action. Il était avant tout le monde, et leur cadenas porte une des plus belles inscriptions : «Je t’aime deux fois à l’infini.»
