“La disparition est un événement qui dure, qui ne s’arrête jamais…” C’est ce qu’a déclaré, samedi dernier, Daho Djerbal, lors d’un forum organisé à Alger par une coalition d’associations de victimes (Djazaïrouna, Somoud et Collectif des familles de disparus en Algérie) et intitulé “Mémoire, victimes et État de droit”.
L’historien, également directeur de la revue Naqd, a fait remarquer que la société algérienne vient de sortir d’une période traumatisante, estimant que la problématique du traumatisme et des disparus est une affaire collective qui doit être assumée par “la société toute entière”.
Cela d’autant, insistera-t-il, qu’il y a dans l’oubli “le retour du refoulé”, ainsi que les risques d’“instrumentalisation politique” de ce qui s’est passé et ce qui a été refoulé. Pour M. Djerbal, “la reconnaissance des faits par la mise en parole” est essentielle. “La question des disparus doit mobiliser autour d’elle un maximum de forces sociales et toute la société pour se réapproprier les espaces de citoyenneté”, a encore indiqué l’historien.
De son côté, la pédopsychiatre Houria Salhi a souligné que la transmission, de génération en génération, de ce qui a été vécu “est dans la parole, dans les secrets, dans la façon d’être”. Elle est revenue sur la notion de l’oubli, en précisant que celui-ci peut être compris “comme un désir ou un compromis, pour continuer à progresser”.
Seulement, ajoutera la spécialiste, la mémoire revient toujours après, car “tout individu a un inconscient”. Mme Salhi a toutefois convenu que la problématique de transmission est complexe, puisque celle-ci peut non seulement produire un discours fidèle à la réalité, mais également “fabriquer un discours ou imposer une mémoire”, pouvant ainsi mener à une régression. L’autre intervenant, en l’occurrence le professeur Madjid Bencheikh, a relevé que le travail de mémoire, loin de signifier “la recherche de réhabilitation”, nécessite un travail de recherche de la vérité.
L’ancien doyen de la faculté de droit d’Alger, et aussi ex-président d’Amnesty International Algérie, a également observé que “la recherche de la vérité doit s’inscrire dans le cadre d’objectifs politiques clairs et dans la transparence, pour avancer dans le projet démocratique”. Non sans plaider pour la refondation de l’État par de nouvelles forces dans la société. Loin d’être révolu, le problème se rapportant à la recherche, par les familles des victimes du terrorisme et les familles des disparus, de la vérité et de la justice est toujours posé.
La CPRN n’a pas mis fin aux actes terroristes qui continuent d’endeuiller des familles. En outre, elle n’a pas réduit toutes ces interrogations sur sa durée d’exécution et son bilan. Pour la coalition d’associations, la charte est assimilée à “une écriture officielle de l’histoire, confisquant la parole aux victimes et acteurs de la société, et bafouant ainsi leur droit à une véritable réparation”.
Et c’est cette même charte, dont le contenu n’a pas connu d’actualisation, qui a poussé les différentes associations des victimes à s’unir en un front commun, dès 2005, dans la perspective d’engager “un large débat au sein de la société sur les moyens d’obtenir la vérité et la justice, la préservation de la mémoire et surtout mettre en place toutes les garanties nécessaires pour la non-répétition des crimes et des violations des droits de l’Homme”. Le forum-atelier d’avant-hier est le second du genre, après celui de juillet 2009.
Le lieu de sa tenue a été gardé secret et n’a été communiqué qu’à la dernière minute. En effet, ce n’est que la veille, soit dans la soirée du 25 juin, que Liberté a été informé que le séminaire se tiendra à la Maison diocésaine de Bouzaréah. La rencontre risquait-elle vraiment d’être interdite, comme ce fut le cas en 2007, si l’information avait circulé plus tôt ? La question reste entièrement posée…
Hafida Ameyar