La vidéosurveillance : souriez, vous êtes « surveillé(e)s »

La vidéosurveillance : souriez, vous êtes « surveillé(e)s »

La vidéosurveillance fait désormais partie de notre quotidien. Apparue dans le milieu des années 90, elle était utilisée d’abord par les institutions publiques, les représentations diplomatiques ou encore les banques et les grandes entreprises. Quelques années plus tard, elle a gagné presque tous les espaces, publics et privés. Certains citoyens y sont totalement indifférents. Le reste est divisé sur son utilité et ses avantages et inconvénients.

Une partie pense qu’elle est un outil efficace de lutte contre la délinquance et la criminalité. A ce titre, elle la considère comme un moyen de veille sur sa propre sécurité et la sécurité de ses biens. L’autre partie la voit, par contre, comme une intrusion dans la sphère privée et comme une menace sur les libertés des gens et une source de toutes les dérives imaginables. Certains juristes décèlent, pour leur part, un flou juridique. Ils trouvent que la vidéosurveillance n’est pas encore clairement et suffisamment cadrée sur le plan juridique.

Des  vols en plein jour non élucidés

Une station-service à Mostaganem à titre d’exemple a été le théâtre d’un cambriolage de voiture en plein jour .A.M, livreur de produits alimentaires de son état, raconte qu’après avoir fait le plein, il a garé son camion au sein même de la station pour aller soulager sa vessie. Une courte absence de quelques minutes selon lui. A son retour, il découvre que la portière de son camion a été forcée et son argent a disparu. « Une forte somme », nous a-t-il confié. A.M qui dit être un habitué de cette station, soutient mordicus que le pompiste qui l’a servi est complice. Il énumère une série de détails qui le conforte dans ses soupçons. Le gérant de la station soutient pour sa part que rien ne prouve que le vol ait eu lieu dans sa station. Dans un premier temps, A.M a songé à la vidéosurveillance pour, dit-il, confondre le pompiste et « ses complices ». Mais, il découvre vite et à ses dépens que la station n’en est pas équipée. Après avoir reçu la plainte, la gendarmerie s’est déplacée sur les lieux mais les choses en sont restées là, selon A.M. Celui-ci croit que l’enquête aurait pu aboutir sur le champ si la station était munie d’un système de vidéosurveillance. Le gérant de la station confie qu’il a déjà pensé à se doter d’un tel dispositif de surveillance…

Acquisition d’un système de vidéosurveillance : une phobie administrative

La vidéosurveillance, pour l’acquérir et l’exploiter, comment faut-il s’y prendre ? En plus du prix à payer, un parcours obligé, pour une bonne raison…. La vidéosurveillance, un domaine sensible en quittant la station de service, nous avons fait un tour à la gendarmerie, pour demander, en qualité de simple citoyen, si acquérir et exploiter un système de vidéosurveillance nécessite de faire un éventuel parcours particulier. La réponse est oui. Un gendarme nous explique que les équipements de vidéosurveillance relèvent des équipements sensibles, il faut donc passer par la Direction de la Réglementation et des Affaires Générales (DRAG) pour avoir une autorisation d’acquisition/exploitation. Même réponse au niveau de la DRAG, un fonctionnaire, nous donne tous les détails sur la chose et sur le dossier qu’il faut. On apprend ainsi que le dossier à fournir doit comporter outre les documents d’identité du demandeur, tous les détails de l’installation envisagée, en plus des documents relatifs au fournisseur du matériel et à l’installateur. Il sera fait ensuite appel, nous dit-on, aux services habilités pour faire une enquête sur les lieux où l’installation est prévue. Ce n’est qu’au bout de ce parcours et de quelques frais que l’autorisation est soit délivrée, soit refusée. Au CNRC, on apprend ensuite que pour toute activité commerciale liée à la vidéosurveillance, il faut être agréé. Selon une dame, qui s’est prêtée gentiment à notre jeu de questions-réponses, de l’activité d’importation jusqu’à l’activité d’installation, la délivrance du registre de commerce est subordonnée à un agrément délivré par le Ministère de l’Intérieur. Elle ajoute que l’activité porte le code n° 504203 et est libellée : « commerce de détail de matériels, équipements et fournitures de protection et de sécurité, leurs pièces détachées et accessoires ». Une juriste nous signale que tout cela est amplement détaillé dans le décret présidentiel n° 09-337 du 21 octobre 2009 portant création de l’établissement de réalisation de systèmes de vidéosurveillance. Elle nous fait savoir également que la vidéosurveillance n’est pas obligatoire dans les commerces ouverts au public. Dans tous les cas, elle est laissée, selon elle, à la seule discrétion du propriétaire du commerce. Elle ajoute enfin que la vidéosurveillance à usage strictement privé ne nécessite pas d’autorisation préalable.

Les professionnels de la vidéosurveillance dénoncent !

Mais malgré son caractère sensible, le créneau de la vidéosurveillance n’est pas à l’abri de l’informel à en croire les professionnels qui activent légalement dans ce créneau…

Un opérateur agréé pour la vente et l’installation des équipements de vidéosurveillance nous confie que le créneau de la vidéosurveillance est infesté par une faune qui n’a rien à voir avec l’activité et qui active en toute illégalité. Cet état de fait, dit-il, cause aux opérateurs agréés beaucoup de préjudices. Ce marché parallèle prospère, selon lui, pour plusieurs raisons. Il cite d’abord l’insuffisance de contrôle. Il relève ensuite l’ignorance des gens en matière de réglementation. Comme nous l’avons pu le constater nous–mêmes en interrogeant quelques citoyens, certains ignorent complètement qu’il s’agit d’équipements sensibles et qu’il faut une autorisation. D’autres sont convaincus que l’autorisation est nécessaire uniquement pour les caméras placées à l’extérieur de leurs locaux. Selon cet opérateur, ce mélange d’ignorance et de confusion dans les esprits des citoyens fait la part belle à la faune qui active au noir. Ces derniers non soumis aux charges en tous genres que connaissent les opérateurs légaux, proposent, selon lui, des prix défiant toute concurrence. Une concurrence déloyale, tient-il à préciser, qui, dans son sillage, écorche l’arsenal juridique en place et le vide de sa substance.  Un autre commerçant de matériel d’électronique qui a cessé de flirter avec le domaine de la vidéosurveillance. Nous dit : « Désolé, les caméras de surveillance, je les vendais il y a plus de six mois mais plus maintenant…c’est interdit sans autorisation », nous a-t-il répondu. La concurrence déloyale dénoncée par les professionnels de la vidéosurveillance met-elle l’avenir de leurs commerces en danger ? Leur réponse est non. Ils affichent au contraire un optimisme béat. Les gérants et propriétaires de ces commerces disent que les gens se surveillent, font plus attention à leurs gestes, ils savent qu’ils sont filmés et enregistrés. « Dans ces conditions, personne ne se hasarde à faire des bêtises, l’effet dissuasif et préventif est », ajoutent-ils. L’un d’eux affirme que depuis l’installation de la caméra, il a constaté une baisse sensible des cas de vols dans son magasin. Il ajoute : « je ne me sens plus seul et désarmé, j’ai désormais des yeux aux quatre coins de mon commerce, je suis tranquille. Surtout le soir, à la vue de la caméra, les cambrioleurs sont dissuadés, ils déguerpissent, mon commerce est on ne peut mieux sécuriser ». .

Vidéosurveillance des lieux ouverts au public : Entre le Oui et le Non,

Dans une wilaya voisine, les supports des futures caméras ont commencé déjà à sortir de terre. A Mostaganem, on ne trouve aucun indice visible pour se faire une idée sur l’avancement du projet. Un élu de l’APW nous confie qu’il ne peut pas nous dire avec certitude à quel stade il se trouve. On peut avancer, par contre, et avec une grande certitude, que la vidéosurveillance ne fait pas que des heureux…. Des citoyens inquiets pour leur vie privée et leurs libertés Certains citoyens sont plutôt indifférents à la présence de caméras, quelque soit l’endroit où elles se trouvent. Souvent, racontent-ils, ils ne s’en rendent même pas compte Ils disent que ça leur importe peu ou pas du tout. Ils disent ne voir aucun inconvénient à ce qu’ils soient filmés dans les espaces privés ouverts au public et même à l’extérieur sur la voie publique. Ils estiment qu’ils n’ont rien à se reprocher, et de ce fait, ils n’ont aucun souci à se faire à ce propos. D’autres, qui se considèrent plus conscients de leurs droits, se demandent pourquoi ces équipements sont catalogués comme sensibles si les droits fondamentaux du citoyen ne sont pas placés au centre des préoccupations liés à leur exploitation privée/publique sensible. Ils dénoncent par exemple le fait qu’il ne soit pas fait obligation de placarder à l’entrée des lieux surveillés par caméras une note informant le visiteur et respectant du coup sa liberté de choisir entre entrer ou ne pas entrer. Une manière d’obtenir en quelque sorte l’accord du visiteur pour être filmé. Ils disent également qu’ils n’ont aucune idée sur le sort réservé aux enregistrements vidéo et aucune garantie que ces enregistrements ne tombent pas entre des mains malveillantes.

D’autres disent « marhba bih (qu’il soit le bienvenu) ». Les citoyens les plus instruits pensent vite au « visionnaire » George Orwell et son « Big Brother ». Pour eux, ce système de vidéosurveillance n’est rien d’autre qu’un dispositif de « vidéoflicage » et de mise en surveillance de leurs libertés.  Dans la rue, cette expression n’a pas de sens car tout le monde est sous le regard de tout le monde. Rien n’échappe au regard de la foule, vous êtes ainsi « filmé » en permanence par les autres. En plus, qui n’a pas aujourd’hui sur lui un téléphone portable doté d’une caméra ? Vous pouvez facilement être filmé, n’importe où, à votre insu par un inconnu et l’enregistrement vidéo finir sur les réseaux sociaux. Pourquoi quand c’est l’Etat qui filme, ça devient subitement un problème ? Il y a plus grave encore. Les applications « gratuites  » pour Smartphones. Il faut savoir qu’elles ne sont gratuites qu’en apparence. Les gens acceptent les contrats d’utilisation de ces applications sans les lire attentivement.

Mokhtar Aicha