En application de l’état d’urgence, 24 militants écologistes et zadistes ont été assignés à résidence pendant la durée du Sommet sur le climat. Interrogés par France 24, deux d’entre eux, qui vivent à Rennes, dénoncent cette atteinte à leur liberté.
Deux jours après les faits, Amélie, une Rennaise d’une vingtaine d’années, a toujours du mal à y croire. Jeudi 26 novembre, en milieu de matinée, des policiers ont fait irruption dans l’appartement qu’elle partage avec plusieurs colocataires. « Ils sont rentrés chez nous avec des fusils d’assaut et à pompe. C’était assez violent. Ils nous ont tous plaqués au sol », raconte-t-elle à France 24, tout en préférant ne pas mentionner son nom de famille. « Cela a duré assez longtemps. On ne savait pas du tout pourquoi ils étaient là ».
Les policiers lui demandent alors son identité puis lui remettent une assignation à résidence. La jeune femme se voit notifier qu’elle a l’interdiction de quitter la ville bretonne, qu’elle doit pointer trois fois par jour au commissariat et rester à son domicile de 20 h à 6 h du matin et ce jusqu’au 12 décembre. Cinq personnes de son entourage, âgées de 25 à 30 ans, sont également visées par cette mesure. Le motif ? Leur activisme au sein des milieux d’extrême gauche et écologistes.
Ces arrêtés d’assignation, pris dans le cadre de l’état d’urgence décrété après les attentats jihadistesdu 13 novembre et prolongé de trois mois par le Parlement, font en effet référence à la tenue de laconférence sur le climat à Paris à partir du 29 novembre. Selon certains de ces documents, consultés par l’AFP, « au regard de la gravité de la menace terroriste sur le territoire national (…) des mesures particulières s’imposent pour assurer la sécurité de la conférence ». « La forte mobilisation des forces de sécurité pour lutter contre la menace terroriste ne saurait être détournée pour répondre aux risques d’ordre public liés à de telles manifestations revendicatives », précise également ces arrêtés.
« Le droit de manifester devient criminel »
En d’autres termes, les autorités souhaitent empêcher des personnes soupçonnées d’appartenir à « la mouvance contestataire radicale » de se rendre dans la capitale pour manifester lors de la COP21. « Dans chaque assignation, il est fait référence à de précédentes manifestations : le 22 février contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes, un autre week-end de débat à Pont-de-Buis autour de la question de la violence policière et un rassemblement contre l’exposition universelle à Milan », explique ainsi Marie, l’une des amies d’Amélie, également assignée à résidence.
Ces deux Rennaises revendiquent leur militantisme écologique mais ne souhaitent pas confirmer leur présence lors de ces événements. « On n’a pas à se justifier d’une présence ou non à une manifestation, surtout quand le fait d’y participer implique de telles mesures. Le droit de manifester devient criminel », s’insurge Marie. « On est justes des amis qui participons à certaines luttes qui se passent en France ».
Les deux femmes insistent également sur le fait qu’aucune d’entre elles n’avait prévu d’aller à Paris pour la COP21. « Nos assignations à résidence ne sont basées que sur des suppositions de participation à une manifestation à Paris, alors qu’il n’y a aucun fait qui le prouve. Ce n’est que du conditionnel », estime Amélie.
Cazeneuve assume « cette fermeté »
Au total, en France, 24 militants ont été assignés à résidence au cours de la semaine précédant le début de la COP21. Des perquisitions ont également eu lieu dans des endroits soupçonnés d’héberger des activistes opposés à la conférence, dont une vendredi, dans un squat du Pré-Saint-Gervais, en banlieue parisienne. En réaction, la Coalition climat 21, qui regroupe 130 organisations, a protesté contre des « abus manifestes » liés à l’état d’urgence et demandé aux autorités d’y mettre fin immédiatement. Interrogé au sujet de ces actions lors d’un déplacement à Strasbourg, le ministre de l’Intérieur assure « assumer totalement cette fermeté » : « Nous avons assigné 24 personnes parce qu’elles avaient témoigné d’actes violents par le passé à l’occasion de manifestations et qu’elles avaient exprimé le souhait de ne pas respecter les principes de l’état d’urgence ».
À Rennes, les militants contestent cette version. « On ne peut répondre que de nous, mais aucun d’entre nous a été condamné pour des faits de violence », affirme Marie, qui a du mal à cacher son incompréhension et son agacement. Depuis deux jours, cette assignation à résidence s’est révélée très contraignante : « Imaginez aller trois fois par jour au commissariat. Certains parmi nous ont des enfants, d’autres sont des étudiants qui ne peuvent plus aller en cours. Moi je travaille dans un bar et je ne peux plus travailler le soir. C’est la prison dehors », résume Amélie.
Face à cette situation, les assignés à résidence rennais ont donc décidé de déposer un recours devant le tribunal administratif de Rennes. Pour leur avocate, Marie Dosé, il s’agit d’un détournement de l’état d’urgence : « On nous explique qu’ils sont assignés à résidence car ils auraient peut-être l’idée d’aller à Paris. Si on commence à assigner à résidence pour des idées qui ne sont pas terroristes et qui ne viennent pas de gens connus pour ce genre d’actions, c’est quand même une atteinte à la liberté d’opinion, de manifestation et de conscience ». L’avocate espère être reçue en audience dès dimanche.