Par Belkacem Lalaoui
«Les yeux et les oreilles sont pour les hommes de piètres témoins s’ils ont des âmes qui n’en comprennent le langage.»
(Héraclite)
Dans cette contribution, il s’agit de tracer quelques pistes de réflexion sur la violence éducative en Algérie, qui n’est qu’un aspect de la violence sociale. La violence éducative (une violence de l’éducation que l’on oublie souvent) doit être prise en compte lorsque l’on traite ou l’on veut traiter de la violence humaine, car il est possible qu’elle soit une des principales causes de celle-ci. Insidieuse, elle s’infiltre dans les pratiques professionnelles pensées, au départ, autour de l’enfant. Elle est d’autant plus insidieuse qu’elle n’est pas considérée comme une maltraitance. Et, pourtant, elle fait des ravages. Elle accentue la rupture des jeunes avec l’école et la société, empêche le processus d’adoucissement des mœurs de se réaliser et peut même l’inverser. Thème récurrent de psychologie et de sociologie par excellence, la violence éducative est un vocable qui garde toujours quelque chose d’imprécis et d’ambigu pour la communauté éducative.
Fondée sur la domination psychique ou physique de l’enseignant pour faire obéir les élèves, elle est susceptible d’entraîner la terreur ou la souffrance morale. Sous l’alibi généreux d’accélérer l’assimilation des connaissances chez l’élève, elle se déroule dans un «espace clos», dans ce grand moule social de l’Etat qu’est l’école où l’on est censé forger une nouvelle pâte humaine. Multiforme, elle désigne à la fois les violences entre les personnes, mais aussi la violence de l’institution éducative elle-même. Muette et quotidienne, elle marque à vie ceux qui la subissent.
Lorsqu’elle est maintenue à un haut niveau dans un pays, elle permet de démasquer les tensions institutionnelles propres à l’école, ainsi que les imperfections du système éducatif qui l’engendre. De nombreux travaux ont montré, en effet, comment les méthodes d’éducation pratiquées, les relations au sein des équipes éducatives, la formation des enseignants et les conditions de travail des établissements scolaires peuvent favoriser ou non le déclenchement de la violence éducative. Ces travaux ont mis en relief, précisément, l’impact de la violence éducative sur le psychisme de l’enfant, avec des comportements d’anxiété, d’instabilité, d’agressivité et de violence, aux effets négatifs certains. Traversée par de nombreux enjeux sociaux, culturels et politiques, l’école algérienne est questionnée aujourd’hui dans sa visée d’institution éducative.
Pour faire un état des lieux, différentes méthodes ont été utilisées par de nombreux chercheurs dans le monde : observation sur le terrain, entretiens avec les équipes pédagogiques, études des rapports d’incidents, recensement des faits rapportés par les enseignants. De ces résultats, et pour ne prendre qu’un exemple, on a observé que les écoliers n’ont pas souvent conscience d’être violents lorsqu’ils utilisent un langage insultant, les injures ou la bagarre.
Les actes de violence verbale ou physique sont, pour eux, des modes normaux de communication pour régler les conflits. Il en est de même pour les règlements de compte individuels ou en groupe qui ont lieu, surtout, en dehors de l’espace scolaire et opposent les garçons entre eux. Toutes ces violences sont la résultante des tensions institutionnelles propres à la société qui viennent se déverser au sein de l’école. Elles sont considérées comme un symptôme du «mal-être» social et culturel.
Violence éducative et système éducatif oppressif
La violence éducative trouve ses sources dans le dysfonctionnement d’un système éducatif oppressif qui ne permet pas aux élèves d’être pris en charge de manière satisfaisante. Des études américaines montrent que la violence éducative est à l’origine de graves problèmes sociaux. Elle accroît les troubles de la socialisation, la délinquance juvénile, les déviances sexuelles, le risque de suicide à l’âge adulte et la tendance à recourir à la coercition verbale et physique pour régler les conflits.
De multiples sujets d’étude mettent aussi en exergue l’emprise de l’anxiété et de la peur dans le psychisme des personnes qui furent victimes de violence éducative au cours de leur enfance. Les personnes ayant été victimes de violence éducative développent, à l’âge adulte, une mémoire traumatique. On a observé aussi qu’une faible estime de soi et des tendances dépressives sont beaucoup plus fortes pour les adultes ayant été victimes de violence éducative.
Le rapport entre la violence éducative subie dans l’enfance et les violences commises plus tard est particulièrement flagrant en ce qui concerne les grands délinquants. C’est ainsi que les études menées par l’Américaine Alice Miller ont fait ressortir que les violences collectives, apparemment spontanées, montrent l’influence de la violence éducative dans leur déclenchement. En revanche, et bien que les enfants semblent porter en eux un potentiel de violence, on a aussi découvert, chez eux, de multiples «capacités relationnelles» comme l’attachement, l’imitation, la capacité d’empathie, l’altruisme spontané, etc. qui les préparent à avoir avec leurs semblables des relations harmonieuses.
Ces différentes «capacités relationnelles» montrent, clairement, que les enfants sont solidement prédisposés à des relations sociales pacifiques et positives avec leurs semblables. Malheureusement, c’est souvent la défaillance dans les programmes scolaires et la formation des enseignants qui empêche leur émergence, leur développement et leur épanouissement. Pour s’en tenir à un exemple élémentaire, la capacité relationnelle «imitation» constitue le fondement de tous les apprentissages scolaires. Ses bases neurologiques, pour le chercheur italien Rizzolati, reposent sur une catégorie de neurones qu’il appelle les neurones miroirs, qui enregistrent tous les comportements que l’œil perçoit et préparent le cerveau à les reproduire. Autrement dit, quand un enfant voit une personne insulter ou frapper, la première chose que ses neurones lui apprennent, c’est d’insulter ou de frapper.
Concernant la capacité relationnelle «altruisme spontané», des chercheurs allemands ont mis en lumière l’étonnante prédisposition naturelle des enfants à faire preuve très tôt d’altruisme spontané, c’est-à-dire d’un acte d’engagement unilatéral pour porter secours à l’autre. Pour la qualité relationnelle «empathie», on a observé que la manière dont on répond à un enfant ou à un jeune crée tout de suite de l’ouverture ou de la fermeture chez lui.
L’écoute empathique des enseignants et des éducateurs joue un rôle important dans la relation pédagogique. En effet, l’empathie avec ses deux composantes émotionnelle et cognitive est une force qui pousse au lien social. Dans de nombreux pays, elle est enseignée et mise en pratique dans ses diverses dimensions, dès la maternelle, pour lutter contre la violence.
L’empathie est le frein le plus efficace à la violence éducative. Le problème qui se pose au système éducatif algérien, c’est comment développer toutes ces «capacités relationnelles» pour mieux prendre en compte les besoins de l’enfant, prévenir la violence éducative et favoriser la disponibilité à l’apprentissage des connaissances et des règles sociales.
C’est là le défi majeur auquel l’école algérienne est aujourd’hui confrontée. Car, jusqu’à ce jour, elle reste enfermée dans une sorte de «nid d’aigle» du haut duquel elle considère que personne sur Terre n’a le droit de la critiquer. Les vérités pédagogiques sur lesquelles elle repose vont de soi. Elles sont indiscutables et immuables. C’est une école qui n’est pas ouverte au dialogue et à la concertation et ce, depuis des décennies. Or, pour un grand nombre d’élèves, l’école est devenue une «fatigante corvée». Ils apprennent, dans un langage qui n’est pas le leur, la méfiance envers les mérites des ancêtres, les livres et les activités culturelles en général.
L’école algérienne est aujourd’hui sous les feux des projecteurs. Si elle veut combattre la violence éducative, elle n’a pas d’autre choix que d’encourager la pratique de certaines activités culturelles qui développent la tolérance et la solidarité : les deux sources éternelles du penchant au bien et du vivre-ensemble. L’enseignement systématique de ces deux valeurs éducatives dotera l’enfant d’une structure psychologique et morale, qui constituera par la suite le noyau de tous ses comportements ultérieurs. Elles développeront, chez lui, la capacité d’aimer la vie.
L’absence d’une éducation à la tolérance
Il règne au sein de la société algérienne une «intolérance généralisée», qui rend tout dialogue particulièrement difficile, voire impossible. Ce n’est plus une société patriotique, autrement dit un lieu de l’engagement en faveur de la réalisation d’objectifs communs. Par les idées, les mœurs, les coutumes, les valeurs, les institutions et la culture qu’elle projette ; c’est une société qui a fermé l’espace public de la discussion et du débat autour du bien et du mal, du vrai et du faux, du juste et de l’injuste au profit de la rupture ou du seul rapport de force. Or, comme beaucoup d’auteurs éclairés l’ont montré, la tolérance est conçue comme découlant de la capacité naturelle de tout homme de discerner le bien du mal, le vrai du faux, le juste de l’injuste, de sorte que nul ne peut se penser détenteur d’une vérité absolue qui pourrait être imposée aux autres. En restreignant le débat dans l’espace public au plus grand nombre et en limitant l’usage public de la raison dans la pratique sociale quotidienne, certaines instances institutionnelles publiques et privées ont élevé l’intolérance en loi politique.
Cette attitude, avant tout absolutiste, a conduit à la démolition de l’espace public, au manque de participation sociale et politique de l’individu et au mauvais fonctionnement de la «société civile». Ce qui a généré un autisme social de grande ampleur, où la valeur de tolérance a fortement périclité. Si bien qu’aujourd’hui, chaque Algérien s’est refugié en son propre «Blick» à lui : une vision morcelée du réel social, une sorte de prisme déformant au travers duquel il interprète tout.
Le potentiel émancipateur de la tolérance pose clairement le rôle de la discussion, tant dans l’espace public que privé, dans le processus d’intégration démocratique. Fondée sur la notion de la justice naturelle, du dialogue et du respect mutuel, la tolérance c’est «la liberté d’avoir une opinion divergente de celle de mon voisin et de pouvoir l’exprimer».
Reconnaître l’autre considéré comme mon semblable, admettre qu’il peut être différent de nous en le respectant, c’est là le fondement même de la tolérance. Dans une discussion libre et égale, «chaque citoyen doit respecter l’autre comme son égal du point de vue juridique et politique malgré les divergences d’ordre éthique et/ou religieuse qui les séparent».
Les sentiments de tolérance, en se développant à la base, font disparaître le fanatisme, la superstition, l’idolâtrie, la mystification et les tromperies de certains maîtres à penser politiques ou religieux dans les relations entre les hommes.
La véritable tolérance s’apparente à un long travail complexe et incessant que les hommes doivent accomplir sur eux-mêmes afin de maintenir et développer, autant qu’il est possible, les conditions de leur propre humanité. Pour les théoriciens de l’Ecole de Frankfurt (Habermas, Honneth, Wellmer, Forst, etc.), la tolérance constitue une sorte de morale élémentaire selon laquelle nous reconnaissons automatiquement autrui comme être humain, c’est-à-dire comme personne autonome face à laquelle nous agissons de manière normative. Cette forme de tolérance n’est aucunement issue de la réflexion, mais est quasi automatique. Même sous sa forme la plus élémentaire et spontanée, elle constitue une première étape nécessaire vers le respect mutuel, qui est censé permettre une vie commune et harmonieuse. Elle suppose une reconnaissance véritable d’autrui comme un autre moi-même, autrement dit comme un être rationnel capable de penser par lui-même. En effet, pour les penseurs contemporains de l’école francfortoise, la tolérance n’est pas une instance abstraite que l’on impose à la société des gens «d’en bas», autrement dit une tolérance octroyée et hautaine : bien au contraire, elle est le centre de la discussion entre citoyens, et suppose une relation de reconnaissance d’autrui comme un être autonome ayant ses propres caractéristiques et ses propres raisons. Relevant d’un équilibre fragile qui lui vaut son double sens, à la fois négatif et positif, elle est considérée comme répressive et discriminatoire ; quand elle dissimule des relations injustes de pouvoir et de domination en neutralisant les oppositions et les conflits.
Dans ces conditions, la tolérance est considérée par le théoricien politique allemand Rainer Forst comme l’instrument même du pouvoir : «… je considère que les formes de la tolérance sont ‘’répressives’’ lorsqu’elles pérennisent des relations de pouvoir injustifiables en contraignant les dominés à accepter leur position inférieure.» Cette forme de tolérance développe, chez les dominés, la haine réactive, la rage, le ressentiment, le mépris et la révolte possible. C’est une forme de tolérance passive que l’on peut assimiler à une indifférence vis-à-vis d’autrui, qui produit tout autant l’inclusion que l’exclusion, et peut être retirée à tout moment. En ce sens, elle relève de l’arbitraire : celui qui tolère pourrait tout aussi bien ne pas le faire.
Cette forme de tolérance est soupçonnée de dissimuler des intérêts particuliers ; elle permet surtout à une classe, politique ou économique, d’asseoir sa domination. La question fondamentale qui se pose est de savoir qui, ou plus exactement quelle instance est habilitée à définir la tolérance et en fonction de quels critères de justification.
Pour le philosophe et sociologue allemand Habermas, la véritable tolérance n’est pas une tolérance octroyée par une instance abstraite, elle est le centre de la discussion entre les citoyens, autrement dit la participation égale au débat démocratique. Cette forme de tolérance émancipatrice et intégrative, qui doit s’étendre dans toutes les parties de la société, ne doit pas être instaurée d’en haut par le législateur qui ne fait que réaffirmer son omnipotence, mais réclamée d’en bas. C’est dans l’espace public, par le débat même sous sa forme la plus anarchique, qu’apparaissent dans les interactions quotidiennes entre les individus de nouvelles problématiques sociales et de nouveaux besoins. L’esprit de tolérance (ces attitudes de respect, de bienveillance, voire d’empathie), et d’ouverture aux autres constitue le degré le plus élevé de tout perfectionnement moral individuel et collectif. Le degré d’émancipation d’une société se mesure à sa tolérance envers autrui, et à la cohabitation des différences.
Dans un discours prononcé à l’Académie des sciences de Berlin, et intitulé «Quand devons-nous être tolérants ?», Jürgen Habermas considère que la tolérance ne peut être qu’une exigence se faisant jour dans une situation d’opposition frontale entre visions du monde, qui ne peuvent trouver un terrain d’entente. C’est dans cette optique que certains éducateurs estiment aujourd’hui que la pratique de la tolérance suppose un apprentissage de la tolérance, qui doit débuter à l’école.
En effet, l’école est le creuset où l’on crée les liens de tolérance entre les jeunes gens dans leur quête de perfection et où on élabore un «langage commun» dans lequel il est possible de s’entendre, afin de faire sens sur des valeurs communes. C’est cette forme de tolérance enseignée et pratiquée à l’école, qui va fonder l’émancipation de l’individu en tant que sujet social, et développer en lui une dimension morale. Sans relier, à la base, psychologiquement les citoyens par la valeur tolérance dans sa dimension de respect, et sans apprendre à regarder le monde avec les yeux d’autrui, il est impossible de fonder une vraie morale et un ordre politique et social juste.
L’absence d’une éducation à la solidarité
Toute communauté humaine est fondée sur une relation spécifique, dite «intuition réciproque» ou «relation intersubjective». Le terme «intuition réciproque» désigne une forme de «relation intersubjective» supérieure à la relation cognitive. En effet, grâce à l’intuition, la reconnaissance de mon prochain s’étend jusqu’au domaine affectif. C’est cette forme de relation sociale que l’on appelle la solidarité. Le concept de solidarité renvoie à la notion de solidité, «car rien n’est plus solide que le lien interhumain qui fait partie de l’équipement génétique de l’être de l’homme».
Les ressorts de la solidarité sont à rechercher dans la nature profonde de l’homme. Comme valeur morale, la solidarité exprime le devoir d’entraide ou d’assistance réciproque. Fondement de l’action sociale, elle est nécessaire à l’équilibre social et à la cohésion nationale. Comme forme de relation sociale, de coordination et de coopération entre les sujets, la solidarité ne saurait être pratiquée «sur ordre» sans perdre aussitôt tout son sens. La solidarité est une activité de découverte et de rencontre de l’autre. Sa mise en forme est une condition de la vie en société. Elle est à la base de notre identité morale, autrement dit, c’est la manière dont nous nous appréhendons nous-mêmes et les autres de manière permanente et mutuelle. Par ses diverses formes, et les nombreux lieux où elle peut s’exercer, elle est l’expression même de l’être-ensemble communautaire.
Formulée dans sa forme institutionnelle, elle est au cœur de toute organisation sociale, «car il ne peut exister de société humaine sans solidarité entre ses membres». La solidarité repose sur l’élaboration et la pérennisation de valeurs communes, en vue de conserver et protéger une identité collective. Etre solidaire, c’est se montrer sensible au sort d’autrui. Dans la véritable solidarité sociale, «nous sommes non seulement unis, mais enchaînés les uns aux autres». L’expérience de la solidarité donne accès à la construction de soi et élargit un type de sensibilité morale au sein d’une société. Le sociologue Durkheim, qui avait une vision bien particulière de la relation de l’individu à la société, s’appuie sur la notion de solidarité sociale (dont il décrit deux types : la solidarité mécanique et la solidarité organique) pour analyser l’évolution d’une société vers le progrès moral. Pour cet auteur, c’est la solidarité sociale qui est la source de la moralité et non quelques principes transcendants. En effet, la tâche de la solidarité est de réaliser l’interdépendance entre les différents individus, c’est-à-dire l’union des hommes les plus différents dans des sentiments communs. Conçue comme un produit des interactions sociales, elle repose sur des rapports quotidiens de confiance, sans lesquels il n’est pas de communauté durable. Intimement imbriquée à celle de lien social, elle désigne «une relation d’interaction dans laquelle les sujets s’intéressent à l’itinéraire personnel de leur vis-à-vis, parce qu’ils ont établi entre eux des liens d’estime symétrique».
La solidarité est un «véritable sentiment de sympathie pour la particularité individuelle de l’autre personne», autrement dit une découverte de soi-même en autrui. Exprimer ma solidarité, c’est veiller à ce que les qualités et les capacités concrètes de l’autre parviennent à se développer et à se refléter dans ses rapports humains et ses prestations sociales. Une communauté humaine fondée sur la solidarité est susceptible de motiver l’adhésion de l’être social en tant que citoyen. Dans cette perspective, on ne peut que constater que les solidarités associatives, celles liées au partage de pratiques particulières, qui initient à l’entraide et au simple coup de main, celles des rassemblements affinitaires par lesquels on peut se définir socialement et qui permettent de conserver l’unité collective et la cohésion sociale ont disparu du paysage social algérien. En effet, toutes les formes de solidarité qui façonnent la vie morale à l’intérieur de la société algérienne sont en crise. Or, c’est dans les espaces de solidarité (associations culturelles, sportives, etc.) que naît un nombre infini de nouvelles formes de relations et des moments d’amitié qu’il faut exploiter pour permettre l’ouverture de l’espace public au plus grand nombre. Malheureusement, et pour diverses raisons, les formes de «solidarité verticale» entre les générations et les formes de «solidarité horizontale» entre les membres de la société ont presque disparu de l’aire culturelle algérienne contemporaine. Envahie par tant d’égoïsme et de fermeture sur soi, la société algérienne éprouve aujourd’hui des difficultés à se solidariser et à se fraterniser. L’interaction qui existe entre l’individu et la société s’est comme rompue.
En guise de conclusion
Finalement, la violence éducative, en Algérie, ne fait que dévoiler les mécanismes d’une école oppressive dans une société en crise, et dont le caractère régressif a très peu changé depuis l’indépendance, et ce, malgré toutes les réformes et les ressources consommées. C’est une école qui reflète la profonde déstabilisation politique, sociale et culturelle, de la société algérienne dans son ensemble. Paralysée par le poids de l’esprit conservateur et fortement marquée par un mouvement d’hésitation dans son orientation philosophique, l’école algérienne continue de dispenser une éducation inadaptée, voire punitive, qui éloigne l’enfant d’un comportement pacifique. C’est une école où les élèves et les enseignants s’engagent, de plus en plus, dans des comportements agressifs et violents afin d’atteindre certains objectifs. N’ayant pas su lutter contre toutes les formes de discrimination et d’exclusion, elle a fini par créer deux catégories d’enfants : les «ordinaires» et les «extraordinaires». Les premiers, les mal-nés, fréquentent une école publique délabrée et en grève. Les seconds, les bien-nés, fréquentent une école privée dans le but de partir ailleurs et de «changer de vie». Deux écoles qui se tournent carrément le dos, en raison de la différence des substrats culturels et sociaux, dont elles tirent leur essence. L’école algérienne n’a pas su dispenser à tous ses enfants une éducation égalitaire, juste et généreuse.
En omettant d’enseigner les valeurs éducatives de la tolérance et de la solidarité, elle a rendu toute une jeunesse irritable, tourmentée et anxieuse. Une jeunesse angoissée, bourrelée d’humiliations, qui veut aujourd’hui s’évader et fuir. En panne de valeurs morales communes d’identification qui lui font défaut et traversée par divers réseaux d’appartenance idéologique, l’école algérienne n’a pas su former le citoyen tolérant et solidaire, public et actif, ayant des droits et des devoirs. Si elle veut mettre fin à la violence éducative qui la ronge, elle n’a pas d’autre choix que de réformer en profondeur son système éducatif, qui continue de placer l’homme dans l’ignorance quasi complète de sa situation concrète au sein de la société, c’est-à-dire sous un épais «voile d’ignorance».
B. L.