Violence institutionnelle et physique à l’égard des femmes, L’Algérie est-elle en train de sacrifier sa moitié?

Violence institutionnelle et physique à l’égard des femmes, L’Algérie est-elle en train de sacrifier sa moitié?

La discrimination juridique à l’égard des femmes met celles-ci dans une posture sociale fragile et donne vraisemblablement bonne conscience à leurs agresseurs potentiels.

Le brutal assassinat de Razika Chérif rouvre le débat sur la question des femmes en Algérie. Le mardi 10 novembre, Razika Chérif, une jeune femme de la localité de Magra, dans la wilaya de Msila, a été écrasée par la voiture d’un homme qui la harcelait en plein centre-ville. Après l’avoir poursuivie pendant un long moment et devant son refus de céder à ses avances, celui-ci a foncé sur elle, passant sur le corps de la victime à deux reprises, la tuant sur le coup. Meurtre? oui! Mais le sadisme ayant caractérisé l’acte est évocateur de toute cette violence latente qui gît sous l’épiderme. Le meurtrier, ayant pris la fuite, a été arrêté dans la même journée, dans la soirée, par les services de sécurité algériens. Mais Razika Chérif n’est plus là et la femme algérienne a subi, à travers son lâche assassinat, une énième violence, une violence dont la survie est infailliblement garantie, estime-t-on dans les milieux des démocrates, par l’ordre patriarcal en vigueur et la nature discriminatoire du système juridique algérien.

En effet, des lois régissant la vie des citoyens sont continuellement promulguées. Mais d’autres lois, concernant seulement les femmes, le sont aussi. C’est dire que les femmes ne sont pas considérées comme citoyennes à part entière. Ce faisant, le système juridique algérien entretient le dualisme entre le statut public de la femme, fondé sur le principe de l’égalité des citoyens, et leur statut privé fondé sur la discrimination et «la minorisation»juridique. Pourquoi ce dualisme qui fragilise socialement la femme et en fait une cible facile? Décidément, certains cercles sont résolus à sacrifier la moitié de la société, les femmes, sous l’autel des fantasmes patriarcaux de la partie la plus rétrograde de la société: les extrémistes. Les faits sont têtus et confortent résolument cette thèse.

En plus de l’assassinat de Razika Chérif qui vient de survenir, le mois de mai dernier, une jeune dame d’Oran venue passer un examen pour l’obtention du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa) à la faculté de droit de Saïd Hamdine, s’est vu refuser l’accès parce qu’elle portait une jupe jugée «trop courte» par un agent de sécurité. Au mois d’août, Lina Sobhi, ancienne chroniqueuse à la Chaîne 3, a elle aussi été empêchée d’entrer à la cour d’Alger alors qu’elle y accompagnait sa mère à cause d’un débardeur.

Au mois d’avril dernier, une association estudiantine agréée a distribué des milliers de tracts et collé des affiches dans tous les coins de l’université Mohamed Bougara de Boumerdès pour appeler les étudiantes et les enseignantes à mettre le voile, sans quoi elles risquaient des châtiments.

Il y a quelques jours, des élèves du lycée du quartier dit des 1000 logements de Batna ont organisé une protestation contre le port des leggings par leurs jeunes camarades, cette tenue étant jugée sexy et provocatrice.

Ces cas peuvent sembler isolés mais c’est loin d’être le cas, compte tenu des chiffres que présentent régulièrement les associations de défense des droits des femmes. Par moment et par endroit, des scandales éclatent et dévoilent au grand jour les conditions dans lesquelles évoluent les femmes algériennes, comme le cas de l’assassinat de Razika Chérif, mais la femme souffre généralement en silence. Car Fatma Oussedik a déjà eu à l’expliquer, les violences sexuelles ne sont pas toujours signalées, en particulier dans les sociétés traditionnelles et patriarcales où la femme représente l’honneur de la famille et où les violences sexuelles contre les femmes sont considérées comme une humiliation pour les hommes de la famille. Néanmoins, malgré le silence «conservateur» qui entoure cette question qui demeure taboue, des chiffres effarants sont avancés par des organisations de la société civile. Selon Balsam, un réseau national de centres d’écoutes qui aident les femmes victimes de violences, sur les 29.532 cas de violences contre des femmes dont l’organisation a été informée en 2013, 4116 concernaient des violences sexuelles, soit environ 14,3%. Nada, une organisation non gouvernementale de défense des droits de l’enfant, a également signalé une augmentation de la violence sexuelle à l’égard des enfants, notamment l’inceste, dont sont victimes garçons et filles.

Face à cette violence permanente qui menace la femme algérienne, y compris dans son intégrité, il est, estiment les associations de femmes, les militantes féministes ainsi que tous les démocrates, urgent de tirer la sonnette d’alarme car, estime-t-on, on se dirige droit vers «la neutralisation sociale des femmes».