Pour les scientifiques, les aménagistes du territoire et les responsables de la sécurité des biens et des personnes, la prévention est censée être de rigueur et l’organisation des secours devrait bénéficier de la fluidité et de la performance les plus étendues.
Le tremblement de terre qui a frappé vendredi dernier les wilayas de M’sila et Bouira (avec épicentre à Beni Ilman, 60 km au nord de la ville de M’sila) n’a heureusement pas fait de grands dégâts même si deux morts sont à déplorer.
Les communes voisines, aussi bien dans la wilaya de M’sila que sur le territoire de Bouira (Ouanougha, Bendaoud, Hamma Dhalaâ, Taguedite, Bordj Okhriss et Mesdour) ont vécu un vendredi après-midi dans l’inquiétude que de nouvelles secousses ou des répliques surviennent. A Beni Ilman, des témoins ont rapporté que les secours n’ont pas bénéficié de la célérité et de l’efficacité exigées dans de telles circonstances.
Le phénomène a tendance à se répéter à l’infini. Il est vrai qu’il n’existe aucun moyen de prévision des séismes. Raison de plus que pour les scientifiques, les aménagistes du territoire et les responsables de la sécurité des biens et des personnes, la prévention est censée être de rigueur et l’organisation des secours devrait bénéficier de la fluidité et de la performance les plus étendues.
Face à un phénomène imprévisible, il ne reste en effet que de minimiser les dégâts par une bonne gestion du territoire (règles rigoureuses de construction, normes urbanistiques) et par un système d’intervention qui devrait s’éloigner le plus possible de la navigation à vue (évacuation rapide des blessés, présence de médecins urgentistes qualifiés, disponibilité de moyens ambulants de réanimation…).
Sur un autre plan, hormis des interventions médiatiques – lapidaires et conjoncturelles – des scientifiques du Centre de recherche en astronomie, astrophysique et géophysique (CRAAG) de Bouzaréah pour accompagner les frayeurs des Algériens suite aux mouvements telluriques, trop fréquents en apparence au cours de ces dernières années, aucun autre travail pédagogique ou de vulgarisation n’est venu éclairer l’opinion publique sur la dynamique interne du sol à tel point que des rumeurs et canulars trouvent aisément preneurs, telle cette relation de cause à effet entre la chaleur caniculaire et les mouvements sismiques qui s’est répandue comme une traînée de poudre dans nos villes et villages.
La peur est bien sûr légitime et le pays n’est pas, à vrai dire, à l’abri d’un autre séisme de l’ampleur de celui de Boumerdès de mai 2003 ou de celui de Chlef d’octobre 1980. Mais, n’oublions pas que le vide en matière de vulgarisation scientifique est, dans pareilles situations, dangereusement rempli par la tendance au mysticisme, voire à des explications rocambolesques qui peuvent faire beaucoup de mal dans les milieux populaires.
Il en fut ainsi au milieu des années 1990 en Egypte où, après un tremblement de terre ayant frappé le vieux Caire et qui a fait des centaines de morts, un futé «homme de religion» a vite trouvé le filon. Il confectionna des bouts de papiers en forme d’«Indulgences» qu’il écoula à des prix astronomiques en un clin d’œil.
Ces amulettes étaient destinées, prétendait-il, à épargner à leurs acquéreurs la colère de la terre qui allait s’exprimer une nouvelle fois, ajoutait-il, dans quelques jours.
Ayant ainsi profité de la panique qui s’est emparée des populations quelques jours plus tôt, notre «clerc» acquit le statut de Crésus en l’espace d’une semaine. A l’Est comme à l’Ouest, le territoire algérien a vibré plus ou moins fortement depuis 2003. Le dernier qui a fait des dégâts est celui de Tamridjt, dans la wilaya de Béjaïa.
L’Algérie du Nord étant connue comme zone de jonction entre les deux plaques tectoniques d’Afrique et d’Europe, les efforts de vulgarisation et de prévention auraient dus être fournis depuis longtemps non seulement en direction des populations, mais aussi en direction de l’administration chargée de la construction, des entreprises de réalisation et des services techniques connexes.
Le livre ouvert de Boumerdès
Que l’on se souvienne du drame de Boumerdès où des constructions récentes ont cédé comme un château de cartes et de vieilles bâtisses y ont tenu le coup. L’inextricable procès relatif à cette affaire et qui a tenu en haleine pendant des mois l’opinion nationale n’a pas abouti à des révélations fracassantes et surtout instructives.
Administration, promoteurs immobiliers et entrepreneurs en bâtiment ont essuyé le courroux de populations meurtries ayant perdu leurs proches, leurs maisons, leurs ateliers, leur argent et leurs papiers. Les immeubles nouvellement construits et réceptionnés s’effondrèrent comme un château de cartes en cette funeste soirée du 21 mai 2003.
L’anarchie urbanistique, la fraude sur le bâti, le poids de l’exode rural, enfin, tous les maux de la gestion approximative de nos cités ont trouvé ce jour-là leur expression la plus dramatique : deux mille morts, des centaines de blessés et handicapés, des enfants traumatisés et des milliards de pertes matérielles.
Les blessures tardent à se refermer d’autant que des chalets se répartissant sur plusieurs communes de Boumerdès et abritant les sinistrés de mai 2003 tardent à être évacués pour que leurs locataires soient décemment logés.
Sept ans après cette catastrophe de dimension nationale, on ne sait pas encore avec certitude si les pouvoirs publics, les élus, la communauté scientifique et la société tout entière ont fait l’effort nécessaire de dresser le bilan, le vrai, de tous les errements et inconséquences de la gestion du pays en matière d’urbanisme, de moralisation de la vie publique et de l’aménagement du territoire.
Car, les répliques sismiques qui se sont étalées sur plus d’une année sur ce territoire ont été dépassées en amplitude – et seront certainement dépassées en longévité – par les répliques sociales et politiques qui se matérialisent par un réveil brutal à un échec patent de la gestion d’un pays et par une défiance envers les structures de l’Etat chargées de la construction et de l’habitat, défiance d’autant plus justifiée que les enquêtes promises par les pouvoirs publics pour identifier et juger les parties défaillantes (promoteurs immobiliers et agents de l’administration) tardent à révéler les tenants et les aboutissants d’un drame que l’on voudrait présenter quelque part comme une fatalité.
En tout cas, le silence en vigueur depuis que l’affaire a commencé à se tasser dans les tiroirs des ministères, n’honore ni les pouvoirs publics ni les instances élues.
L’Assemblée populaire nationale aurait pu exhumer le dossier en demandant une enquête sérieuse au gouvernement ou en constituant sa propre commission d’enquête. La confiance en les élus et en l’action politique c’est aussi cela. Il ne faut surtout pas s’étonner du taux d’abstention aux élections lorsque, dans des circonstances aussi dramatiques, les élus se débinent devant leurs responsabilités.
Concernant la gestion de l’événement lui-même, la seule fatalité que l’on reconnaît à l’événement est sa survenue quasi imprévisible. La communauté scientifique internationale se penche depuis longtemps sur les méthodes de prévision des séismes ; les résultats sont pour le moment aléatoires.
Mais ce dont sont supposés s’armer les Algériens dans le domaine de la prévention des effets des séismes, c’est surtout ces données scientifiques bien établies qui nous apprennent que le Nord du pays est situé sur une ligne de fracture tectonique.
Cela aurait pu déclencher des réflexes et des règles de construction bien spécifiques, une politique de l’aménagement du territoire qui aurait pu éviter l’exode rural qui étrangle aujourd’hui nos villes et villages et, enfin, des dispositifs de sauvetage bien inspirés des méthodes de la gestion des risques majeurs et catastrophes naturelles.
Instruit par la débâcle de Boumerdès – relativement compensée par l’élan populaire spontané – le gouvernement a fait adopter en 2004 une loi, par le biais du ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, tendant à réduire au maximum les pertes humaines lors des grandes catastrophes naturelles.
Le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Noureddine Yazid Zerhouni, a relevé l’année dernière l’importance de la carte des risques sismiques réalisée pour la partie nord du pays. Cette importance est mise en exergue dans la gestion et la prévention des catastrophes naturelles. «Aujourd’hui, je peux affirmer que nous disposons d’une carte de risques sismiques, particulièrement dans la partie la plus exposée (à l’activité sismique) au Nord du pays et dans les Hauts Plateaux.
C’est une carte crédible et précise, fruit d’un travail important fait dans l’anonymat», a souligné M. Zerhouni dans une intervention à l’occasion de la cérémonie de finalisation, en juillet 2009, de stations sismologiques, entrant dans le cadre de la coopération algéro-chinoise dans le domaine de la sismologie.
Deux handicaps : police d’assurance et sensibilisation
Les leçons pratiques à tirer des drames passés, particulièrement de celui de Boumerdès, sont déjà sériées par les spécialistes : la nature et la qualité des matériaux de construction, les normes techniques relatives au métré et au dosage, l’aménagement urbain et l’aménagement du territoire en général, l’approche pédagogique relative à la sensibilisation des populations au phénomène sismique et à la vulgarisation de la dynamique de la terre de façon, faute de pouvoir prévoir les séismes, à pouvoir au moins les démystifier et se prémunir un tant soit peu contre ses effets dévastateurs issus de la pa-nique, de la superstition et des marchands des «Indulgences».
En tout cas, l’Algérie ne peut pas échapper aux règles et normes régissant les économies modernes faites de prospective, du sens de la prévention et de gestion des risques. Dans la plupart des pays du monde, les coûts inhérents aux risques mineurs ou majeurs sont intégrés dans la structure des coûts globaux des biens et services produits par les entreprises.
A l’échelle de la communauté et de la nation toute entière, les institutions algériennes (administration, bureaux d’études, entreprises, instituts de recherche) sont en train de capitaliser peu à peu les expériences malheureuses des catastrophes naturelles et des accidents industriels ou domestiques vécus par le pays dans un passé récent, et Dieu sait qu’il y en a eu à profusion.
C’est ainsi que l’Algérie s’est dotée, à partir de 2005, d’une législation élaborée par le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement visant à améliorer les mécanismes de prévention des risques et les dispositifs d’intervention en cas de leur survenue.
Pour protéger au maximum les biens et les personnes et mettre à l’abri des grandes catastrophes l’économie nationale, il n’y a d’autres choix que de préparer les hommes, les institutions, les équipements et l’organisation à de tels défis dictés par la complexité de l’environnement moderne et certains dérèglements sociaux ou naturels.
Des drames vécus à l’échelle d’une région du pays ou de plusieurs wilayas ont mis à nu les défaillances du système de veille et de prévention des risques naturels et industriels qui pèsent sur l’économie nationale et sur la sécurité des biens et des personnes. Pis, ces calamités ont mis à rude épreuve nos capacités et nos techniques d’intervention lorsque le péril advient.
Sur le plan du travail pédagogique, l’action de sensibilisation n’a jamais été le point fort des pouvoirs publics. Ce n’est qu’en 2006 que le ministère de l’Education nationale a réfléchi à un programme portant sur la sensibilisation, dans le milieu scolaire, aux risques sismiques et aux techniques primaires de sauvetage ; programme qui, malheureusement, n’a pas encore eu de prolongement sur le terrain.
Un autre handicap de la culture de la prévention dans notre pays est assurément lié à un déficit de polices d’assurance, phénomène aussi intimement lié à un manque de sensibilisation.
Beaucoup d’infrastructures, équipements et autres biens (immeubles, maisons, ateliers, fermes…) demeurent encore sans aucune assurance.
La réunion, en avril dernier, du Conseil national des assurances a mis en relief le manque de pénétration de la culture des assurances dans les foyers algériens.
Outre les aspects coercitifs que la loi portant sur la prévention des risques majeurs a inscrits dans ses clauses, le volet sensibilisation est impérativement appelé à s’élargir et à se renforcer pour intégrer les citoyens et la société toute entière dans la nouvelle stratégie visant la protection de la collectivité nationale.
Saâd Taferka