Voir Chetaibi et mourir…

Voir Chetaibi et mourir…

Son nom résonne dans les oreilles comme un chuchotement joyeux. Et la route qu’il faut emprunter pour accéder à ses charmes est en elle-même une initiation à la beauté. Ses paysages sont une promesse de bonheur. Son climat est un bain de douceur. Chetaibi est le fruit d’un mariage harmonieux entre la mer et la terre. Dans cette baie qui occupe une place privilégiée au sein de la famille des paysages somptueux en Algérie, les éléments se conjuguent pour créer des plages où il fait bon se délasser.

Un  rendez-vous galant avec dame nature

Mais à Chetaïbi, il n’y a pas que les plages mystérieuses qui ensorcellent les visiteurs. De ses lauriers qui recouvrent les routes en passant par des forêts denses où l’ombre joue à cache-cache avec le soleil et jusqu’à ses rochers majestueux dessinés par une main créatrice qui laisse transparaître une générosité sans pareille, tout est une invitation à l’admiration dans cette baie qui rivalise, dans les cœurs des hommes qui l’habitent, avec les femmes les plus séduisantes. Dans son port de pêche où viennent s’abriter les bateaux, la moindre montagne alentour offre un point de vue exceptionnel. Avec ce décor enchanteur digne d’une toile artistique réalisée par un grand maître, Chetaibi est incontestablement l’une des plus majestueuses baies du monde. Ancrée dans le littoral algérien, la baie de Chetaibi renferme une biodiversité incroyable. Une véritable réserve naturelle se cache dans ses entrailles. Et la découverte de Chetaibi devient soudain un rendez-vous galant avec dame nature.

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Toutefois à Chetaibi, tout n’est pas idyllique. Les habitants de ce coin de paradis réclament de l’attention et des investissements concrets. La carte postale doit être dépoussiérée et les sites naturels de toute la région demeurent vierges et inexploités. «Chetaibi est une pierre précieuse qu’aucun joaillier n’a encore sculpté. Nous manquons de tout. Ni gaz de ville ni infrastructures touristiques de base, même les pêcheurs ne sont pas soutenus et accompagnés. Pas même un chalutier pour moderniser notre pêche», regrette Mohamed, 27 ans, un jeune homme qui a toujours vécu à Chetaibi. Amoureux de sa région qu’il redécouvre à chaque fois, Mohamed n’a pas pu s’empêcher de céder toutefois à la tentation de la harga. En 2008, il s’est embarqué dans un boat-people pour rejoindre la rive nord de la Méditerranée. Au bout d’un voyage houleux où le flirt avec la mort était une règle de base, Mohamed s’est retrouvé dans un centre de détention en Sardaigne. Et au bout d’une vingtaine de jours d’incarcération marqués par un traitement carcéral d’une rare dureté, les illusions de Mohamed se sont effondrées comme un château de cartes.

Les caresses passionnées du sable et de la mer

«J’ai regretté cette expérience amère. J’ai compris que mon avenir n’était nullement en Europe où on ne voulait pas de moi. Je suis donc revenu dans ma région pour bâtir mon avenir avec mes propres mains. La harga ne me fait plus rêver. Et cette fois-ci, j’ai décidé de faire face aux problèmes de mon pays sans tenter de les fuir», raconte le jeune homme sur un ton sincère. Aujourd’hui, il travaille comme cuisinier dans un restaurant installé juste en face du port de pêche. Il rencontre ces étrangers qui viennent de loin pour découvrir la célèbre Chetaibi. Il se confie ouvertement à eux et il n’hésite jamais de faire le guide pour promouvoir le patrimoine de sa région.

Et il aurait aimé que ses amis, voisins ou proches en fassent autant. Mohamed, l’ancien harraga, respire l’espoir et sa volonté à toute épreuve inspire le respect. En sa compagnie, nous partons à la découverte des Sables d’Or, cette plage qui a attiré les poètes et les artistes de toute l’Algérie à l’image d’Amer Zahi, Abderrahmane El Koubi et Mohamed Tahar Fergani. Sur cette plage où le sable et la mer s’échangent des caresses passionnées, l’air frais, la brise marine, l’eau pure et transparente lave les âmes de toutes les lourdeurs de la vie. Là aussi, des dizaines de jeunes s’activent l’été pour gagner un peu d’argent de poche avec les touristes qui s’aventurent jusque ici en quête de fraicheur et de bien-être. Des jeunes abandonnés à leur sort pendant toute l’année, mais qui ressuscitent l’été et se nourrissent de leur côte infiniment belle et éternellement captivante. «Nous demandons uniquement à ce qu’elle soit classée Aire maritime à protéger.

Sinon, nous craignons le pire pour l’avenir avec le développement du tourisme de masse», nous interpelle à ce sujet un jeune plagiste étudiant à l’université d’Annaba qui nous prie d’aller découvrir encore d’autres endroits méconnus de cette baie et de témoigner devant l’histoire de cette nature qui réclame uniquement un peu d’intérêt de la part de nos autorités pour mettre en place un dispositif de protection. Une virée à Redma, où l’eau émeraude donne le tournis, à Gargamiz où les falaises surplombent des criques insoupçonnées et secrètes, finit par nous convaincre que cette baie est un rêve éveillé. Mais comme dans chaque rêve, il y a toujours cette gifle qui vous réveille de votre torpeur. Une douce torpeur avec laquelle on n’a jamais envie de rompre. Voir Chetaibi et mourir… Le plus tard possible naturellement.

« Malik employé dans un restaurant sur le port de Chetaibi, il explique comment se déroule la vie dans la baie »