En se positionnant contre un dialogue avec des préalables, le chef de l’institution militaire désavoue le chef de l’État, Abdelkader Bensalah, et met à mal le panel de Karim Younès.
Le chef de l’armée et le chef de l’État ne sont pas du tout sur la même longueur d’onde en matière d’approche sur la conduite et les conditions du dialogue. L’un veut une présidentielle rapide sans aucune exigence. L’autre favorise relativement un climat d’apaisement. Les interventions publiques des deux hommes, dans l’intervalle de cinq jours, montrent clairement les dissensions. Jeudi dernier, Abdelkader Bensalah reçoit les six personnalités constituant le panel de médiation drivé par l’ancien président de l’Assemblée populaire Karim Younès.
Il exprime alors sa disponibilité à satisfaire quelques-unes des sept conditions posées par ses hôtes, soit “inviter la justice à examiner la possibilité d’élargissement des personnes dont l’interpellation s’est faite en lien avec le déroulement des marches populaires” ; “envisager l’allègement du dispositif mis en place par les services de sécurité (…) lors des marches populaires” et enfin “prendre les mesures de nature à faciliter l’accès aux médias publics à toutes les opinions”. Il reconnaît, toutefois, qu’il n’avait pas le pouvoir constitutionnel de démettre le gouvernement Bedoui, tel que revendiqué par la rue et répercuté par le panel. L’opinion publique pensait, naïvement sans doute, que le régime s’emploie à désamorcer la crise politique, en instiguant un processus de dialogue sur mesure.
Le chef de l’État par intérim était probablement dans cette optique, puisqu’il a fait l’effort de promouvoir l’initiative. Coup de théâtre. Quatre jours plus tard, le vice-ministre de la Défense nationale le désavoue et enterre le panel par un rejet en bloc des prérequis au dialogue. “Les élections constituent le point essentiel sur lequel doit être axé le dialogue (…) loin de la méthode imposant des préalables allant jusqu’aux diktats.” La messe est dite. Le chef de l’institution militaire ne s’encombre pas d’exigences, même si elles devaient baliser le terrain à l’exécution de sa feuille de route, c’est-à-dire l’organisation d’un scrutin présidentiel à très brève échéance. “De telles méthodes et thèses sont catégoriquement rejetées, car l’Algérie a besoin aujourd’hui de ceux qui se sacrifient pour elle (…) s’écartent de la surenchère.” Droit dans ses bottes, Ahmed Gaïd Salah ne transige pas sur le bannissement de l’étendard amazigh de la voie publique.
Il ne s’accommode pas dès lors, contrairement au chef de l’État qui s’est engagé à étudier la question, de la libération de jeunes manifestants placés sous mandat de dépôt pour avoir porté l’emblème interdit. Il leur dénie le statut de détenus d’opinion. “Il m’appartient, dans ce contexte, de mettre en exergue certaines de ces idées empoisonnées que véhicule la bande et qu’adoptent certains porte-voix qui gravitent autour d’elle, notamment l’appel à l’élargissement des détenus, qualifiés à tort comme des prisonniers d’opinion, en guise de dispositions d’apaisement selon eux”, a-t-il souligné dans son discours, en se réfugiant derrière l’argument de la souveraineté des magistrats qui jugeront ces affaires.
Il les a traités, néanmoins, “d’individus qui s’en sont pris aux symboles et aux institutions de l’État et ont porté outrage à l’emblème national”. Il rejette aussi catégoriquement la condition du panel portant levée de l’embargo sur Alger les vendredis, la qualifiant “d’appel suspect et illogique”. Les distorsions discursives entre le général du corps d’armée et le chef de l’État rendent plus visibles les fissures de la carapace du régime. L’insurrection citoyenne se rapproche de ses objectifs.
Souhila Hammadi