Désigné pour succéder à Bajolet sur fond de prometteuses perspectives dans un terrain déjà déblayé, Xavier Driencourt s’est retrouvé cependant dans un terrain métamorphosé par des tensions, des débats passionnés où les contentieux sont remontés à la surface pour déteindre sur les relations entre Paris et Alger.
Alger et Paris se regardent mais ne se parlent pas. Les dossiers litigieux, parfois déterrés, sont brandis des deux côtés de la Méditerranée pour suppléer au déficit de dialogue et de communication officielle. En marge de sa visite de courtoisie à Liberté, Xavier Driencourt a accepté d’aborder toutes les questions et de répondre aux nôtres.
Liberté : Vous êtes l’ambassadeur de France en Algérie le moins gâté par la conjoncture. Comment vivez-vous cette situation ?
Xavier Driencourt : C’est simple. On ne choisit pas le contexte dans lequel on va travailler. Quand on m’a proposé de venir travailler en Algérie, on m’a dit que les relations étaient exceptionnelles. En 2008, il y a eu 13 visites ministérielles, en juillet, le Premier ministre Fillon est venu à Alger et il y avait beaucoup de projets. On compte sur toi pour travailler exceptionnellement. Quand je suis arrivé, il y a eu le reflux. Il fallait compter sans doute sur mes qualités qui me permettent de m’adapter à cette nouvelle période.
J’essaie de faire en sorte d’occuper le terrain autrement. Les relations des deux pays ne se résument pas uniquement à ces moments difficiles. Nous avons des activités, des projets, nous allons organiser une grande exposition de peinture française… c’est le football, la peinture, les arts, les relations entre journalistes, les universitaires, les différentes sphères de la population. On ne choisit pas sa période. Sinon, autant ne pas faire ce métier.
Les relations politiques entre l’Algérie et la France ne sont pas denses. Qu’en est-il des relations économiques ?
Je pense que les relations entre les deux pays, c’est un tout. Les relations politiques sont moins denses pour des raisons que vous connaissez. Il y a des difficultés, des contentieux, peut-être, mais il ne faut pas généraliser. J’étais au Sud, j’ai découvert une entreprise française, Cieptal, filiale algérienne de CIS qui emploie 3 500 personnes. C’est énorme. C’est une PME de Marseille, une “success story” dont on ne parle pas. La Sodexo, qui a fait le super potager, dont vous avez parlé la semaine dernière, opère aussi dans le “catering” et emploie 2 500 personnes. Ces deux entreprises, comme d’autres, sont créatrices d’emplois pour les Algériens. Il y a aussi Total, Renault, GDF, Michelin… les sociétés d’assurance, Axa, Macif. Le dossier d’Axa avance. Pour Renault, c’est plus compliqué. Sans oublier que la crise économique est passée par-là aussi. Ce n’est pas facile et il y a un certain nombre de difficultés. Cela dit, il y a beaucoup d’atouts en Algérie. Il faut vraiment regarder le verre à moitié plein et non à moitié vide.
L’affaire du diplomate Hasseni n’est toujours pas close malgré toutes les preuves de son innocence, qu’est-ce qui bloque ?
C’est une procédure judiciaire. C’est au juge de décider. Le juge l’a fait passer du statut de mis en examen à celui de témoin assisté, ce qui est une amélioration du dispositif.
Il y a quand même lourdeur dans cette procédure ?
Je ne me prononce pas. Parce que je connais mal la procédure judiciaire. L’affaire n’est pas terminée tant qu’il n’y a pas de prononcé de non-lieu. En l’état actuel, le juge ne peut pas se prononcer sur le fond.
Quelle visibilité y a-t-il dans les relations entre Alger et Paris ? Dossiers, calendrier… en perspective…
Pour l’instant, il n’y a pas autant de visibilité qu’on l’aurait souhaitée. Il faut peut-être vider un certain nombre de difficultés, des dossiers auxquels tiennent les autorités algériennes. Mais chaque chose en son temps. C’est ce que j’ai compris.
L’Algérie est invitée au sommet Afrique-France, a-t-elle confirmé sa participation ?
Il n’y a pas de réponse des autorités algériennes. Beaucoup de pays vont participer. Il y aura une trentaine de chefs d’État.
L’histoire constitue le blocage majeur dans les relations entre les deux pays. Est-ce à cause de l’histoire en elle-même ou du regard qui est porté sur cette histoire ?
L’histoire est au cœur de la vie de la nation algérienne. Il suffit de voir la presse de tous les jours pour s’en rendre compte. C’est un jeune État, 48 ans de vie et l’histoire font partie de sa vie de sa culture, de son environnement. On ne peut pas rayer l’histoire de la mentalité même si on le voulait. C’est inévitable. Quand on parle de France, c’est le mot histoire qui revient. Mais l’histoire doit servir à éclairer l’avenir. Elle n’est pas seulement comme vous le dites un “blocage”. Les évènements du 8 Mai 1945 sont une tragédie inexcusable, irréparable, comme l’ont bien dit avant moi mes deux prédécesseurs. Le président de la République a eu des mots forts, il a condamné le système colonial et ses injustices. Peut-être ira-t-on un jour plus loin dans cette reconnaissance. L’histoire donc fait partie des relations entre les deux pays. 99% des relations sont fondées sur l’histoire. Il faut assumer “ce fardeau”.
Quel est votre commentaire sur la loi sur la criminalisation de la colonisation ?
Il n’y a pas eu de réaction officielle française. Il y a eu des déclarations de parlementaires, de politiques. Cela dit, si la loi aboutit, ce ne sera pas un signal positif. Mais on ne fera pas de commentaire. C’est une initiative de parlementaires algériens. Si la procédure est abandonnée, on ne fera pas de commentaire non plus. Nous observons à ce stade, prudemment, la procédure législative.
Quelle est votre position dans la polémique autour du film de Bouchareb Hors-la-loi ?
Ce n’est qu’un film de fiction, et non une œuvre historique et qui est d’ailleurs financé à 58% par la France. On n’a qu’à s’autoflageller si on le voulait. Et personne ne l’a encore vu. Il sera montré dans quelques jours à Cannes et en septembre dans les salles en France. Pour l’instant, les gens en parlent en se basant sur un des scénarios alors que sa sortie en salle est prévue pour septembre prochain.
Pour finir, quelque chose de positif ?
Il y a beaucoup de potentiel et de potentialités en Algérie, s’il y a une volonté de part et d’autre, on peut faire beaucoup de choses ensemble dans le domaine culturel, le cinéma, le sport, l’économie. Il y a une vraie demande dans tous les domaines. Tous les gens que je rencontre dans mes visites me disent : il faudrait que vous nous aidiez. Dans l’éducation, j’ai rencontré à deux reprises le ministre de l’Éducation et je lui ai proposé des projets. Des moyens financiers ont été dégagés. Et nous pouvons travailler concrètement ensemble. J’ai confiance si l’on veut, ensemble, on peut.
Djilali Benyoub