Il occupe son poste à Alger depuis à peine six mois, l’Ambassadeur de Chine, déjà très au fait de l’actualité nationale, voit grand quant au développement des relations excellentes entre les deux pays, datant de plus d’un demi-siècle, « il n’y a aucune raison pour que ça change », affirme son excellence Yang Guangyu avec un large sourire. Dans cette interview, parue dans les colonnes de L’Éco (N°103 / du 01 au 15 janvier 2014), il note avec satisfaction le volume des échanges commerciaux qui a enregistré une croissance de 10,28% par rapport à l’année dernière et ce, dans le respect de l’autre.
L’Eco : Vous venez d’arriver dans notre pays, qu’est-ce que ces quelques mois vous ont renseigné sur l’Algérie ?
Yang Guangyu : Cela fait 6 mois que je suis dans votre pays. L’Algérie est un pays avec lequel la Chine entretient des relations très anciennes et avec lequel également nous sommes liés par un partenariat stratégique global, ce qui est une particularité de la relation entre les deux pays. L’Algérie est le seul pays arabe avec lequel la Chine entretient ce genre de partenariat. Les deux pays sont liés par un partenariat économique très fructueux et très solide. L’Algérie possède une très grande potentialité de développement et nous avons beaucoup de choses à faire ensemble. Sincèrement nous avons déjà fait beaucoup durant un demi-siècle de relation et je pense qu’il reste encore beaucoup à faire ensemble.
Entre la Chine et l’Algérie, les relations remontent à très loin, comment évolue cette relation ?
Depuis plus d’un demi-siècle, la relation entre les deux pays n’a jamais cessé de se renforcer, c’est quelque chose d’extraordinaire, d’ailleurs nous sommes de plus en plus amis. Certes, nous avons déjà un partenariat stratégique global mais la Chine ne se contente pas de ce qui a été réalisé jusqu’aujourd’hui. La Chine est prête à aller encore plus loin, la main dans la main, avec l’Algérie sur le chemin du partenariat. En février dernier, les deux Chefs d’Etat ont signé officiellement l’accord de partenariat global. C’est un fait marquant dans les annales de notre relation.
Quelle appréciation faites-vous des relations économiques actuelles ?
Elles sont excellentes et fructueuses. La présence de la Chine en Algérie est très importante dans tous les secteurs. Notre pays est leader dans les secteurs des travaux publics et bâtiment, et occupe une place importante dans les hydrocarbures, le spatial, nucléaire, santé….. La liste des secteurs de partenariat est très longue, d’ailleurs c’est difficile de trouver un secteur où les chinois ne sont pas présents. Le concept partenariat stratégique global confirme cette relation et est généralisée à tous les secteurs et domaines d’activités. La Chine est considérée depuis l’année 2013, comme le premier fournisseur de l’Algérie, le volume des échanges entre les deux pays s’est élevé à 8,19 milliards dollars. La Chine a exporté vers l’Algérie environ 6 milliards de dollars. Les échanges entre les deux pays durant les 9 premiers mois de 2014 sont très fructueux et encourageants puisque le volume des échanges s’élève à 6,721 milliards dollars, soit une croissance de 10,28% par rapport à la même période de 2013. C’est remarquable.
Est-ce que la Chine bénéficie de relations privilégiées avec l’Algérie et de quel ordre ?
Comme nous l’avons déjà dit, l’Algérie est un pays particulier et important pour la Chine dans tous les secteurs, politique, économique, historique…. On peut même dire que cette relation est exceptionnelle et particulière avec un pays arabe. Donc j’accepte de dire que nous avons une relation privilégiée avec l’Algérie et ce, dans tous les domaines.
La Chine est présente généralement dans les programmes d’investissements publics par contre moins présente dans l’investissement direct en Algérie, pourquoi ?
D’abord je tiens à préciser qu’il existe des investissements chinois directs en Algérie. Selon les statistiques, la Chine a investi en Algérie environ 1, 5 Milliard de dollars notamment dans le secteur des hydrocarbures où nous avons de grandes sociétés présentes en Algérie. Pour cette année, de janvier à décembre, les investissements chinois en Algérie ont atteint 580 millions dollars, soit une croissance de 189%. Ce que je peux dire, c’est qu’il y a des investissements relativement importants mais par rapport à la présence forte et massive économique des chinois dans ce pays, cela donne l’impression que ce n’est pas extrêmement important. Dans l’objectif d’améliorer et de renforcer notre investissement direct, les autorités chinoises nous ont confié (ambassade de Chine en Algérie) la mission d’orienter et d’accompagner nos entreprises pour investir en Algérie. Ainsi je suis sûr qu’on assistera prochainement à une croissance des investissements chinois dans ce pays ami.
L’Algérie et la Chine ont conclu, à Pékin, un Plan de coopération stratégique global pour la période 2014/2018, c’est le premier du genre avec un pays arabe, quelle est la portée de cet accord ?
Je dois juste préciser un point sur ce partenariat qui durera dans le temps, c’est-à-dire qu’il n’est pas conjoncturel, il ne se limite pas seulement à la période 2014/2018. Pour mettre en place ce programme de partenariat stratégique global, nous avons conclu un plan quinquennal et ce, dans l’objectif de tracer une feuille de route. Cette coopération est un signe qui démontre le niveau de relation entre les deux Etats. Les diplomates connaissent très bien la signification de ce type d’accord. Il existe, en effet, un niveau de relation et une confiance très élevés entre les deux pays. Ainsi nous travaillons ensemble dans tous les domaines qu’ils soient politique, économique ou autres. D’ailleurs, sur le chapitre de la concertation et l’échange, nos deux pays privilégient le dialogue dans la résolution des conflits dans le monde. Le maintien constant du dialogue est un principe commun entre les deux Etats.
Comme à l’époque d’après la guerre mondiale, il y avait une course vers le spatial, la Russie et les USA s’affrontent aujourd’hui sur la question de l’Ukraine qui est une sorte de partage de territoires à travers les conflits actuels, est-ce qu’on parler d’un Remake de la guerre froide ?
Personnellement je ne crois pas qu’on assiste à un retour de la guerre froide sur la scène internationale mais je dirais qu’il existe encore des parties qui n’arrivent pas à en finir avec leur mentalité de guerre froide. Ces parties ont gardé toujours ces reflexes et mentalités de la guerre froide, bien que le monde l’ait dépassée il y a déjà longtemps. Ainsi on ne peut pas dire que la guerre froide existe dans le monde entier. La Chine, pour sa part, appelle toujours à en finir avec ces attitudes et dépasser les conflits en choisissant la voie du dialogue.
Aujourd’hui nous sommes dans la mondialisation et la multi-polarisation du monde, ainsi nous devons faire face à ce phénomène de crise sécuritaire en suivant la voie de dialogue. Il faut rester toujours fidèle aux principes de non ingérence dans les affaires internes des pays. Ceci, je le répète encore plusieurs fois, est un principe immuable tant pour l’Algérie que pour la Chine. Nous croyons au dialogue, au principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays et d’égalité entre tous les pays du monde, riches ou pauvres. Parce que généralement, ce sont les pays riches qui interviennent et s’ingèrent toujours dans les affaires des pays pauvres parce qu’ils en ont les moyens. C’est pour cela aussi que la Chine essaie de défendre les intérêts des pays en voie de développement. Notre principe est que personne n’a le droit de changer un régime politique par la force. D’autre part, la Chine a toujours soutenu l’Algérie dans ses efforts de maintien de la paix dans la région du Sahel et à travers le monde.
La banque de Russie et celle de Chine ont mis au point un accord d’échanges de devises nationales (SWAP). Ce document ne tardera pas à renforcer le rôle du Rouble et de Yuan dans le commerce international, est-ce que la guerre financière a commencé ?
Aujourd’hui on assiste sans doute à une montée en puissance économique de la Chine. Elle est la deuxième puissance économique mondiale. Je crois que cette année, la Chine pourra atteindre 10 000 milliards de dollars de son PIB, contribuant ainsi à hauteur de 20% de la croissance économique mondiale. Donc la Chine à un rôle, extrêmement important, à jouer. Elle jouit, ainsi, d’une influence de plus en plus importante dans les affaires internationales. La Chine essaie toujours de mettre son poids économique au service de maintien de la paix à travers le monde. Il faut dire que la Chine est indépendante financièrement et monétairement et à travers cet accord (Banques centrales de Russie et de Chine), les deux parties se sont mises d’accord pour la transaction d’une partie des échanges commerciaux en monnaie chinoise qui est le Yuan. C’est une action très normale puisque la Chine est un pays souverain et dont la monnaie qui est le yuan, est sur la voie de l’internationalisation.
Les échanges ne sont pas seulement avec la Russie mais on trouve le Yuan à Frankfurt, à Londres, à Paris, en Amérique latine et ailleurs. Ceci en plus de la Banque qui vient d’être créée dans le cadre du groupe BRICS et une autre en Asie pour laquelle déjà, une vingtaine de pays ont donné leur accord favorable pour sa création, c’est une banque spécialisée dans les travaux publics.
Les régions MENA et Sahel vivent actuellement des crises sécuritaires. La Chine étant membre du Conseil de sécurité des Nations Unies et un partenaire considérable des pays de ces régions, comment est perçu, du côté chinois, l’impérative sauvegarde des investissements dans cette région et dans quelle mesure contribue-t-elle à l’instauration de la paix ?
Le plus important pour nous, c’est la sauvegarde de la paix car, si la paix est maintenue et assurée, tous les intérêts de tous les pays seront automatiquement préservés et sauvegardés. Il est vrai que cette partie du monde connaît des crises sécuritaires depuis longtemps mais la Chine reste toujours fidèle à son principe qui interdit toute ingérence dans les affaires internes des pays. La Chine souhaite que les pays de cette région puissent prendre l’initiative de régler le conflit en dehors de toute ingérence extérieure. On peut dire que plus il y a une ingérence extérieure dans les affaires d’un pays, plus le conflit se maintient et la situation se complique. Pour instaurer la paix dans le monde, il faut interdire l’ingérence dans les affaires internes des pays. La Chine pourra apporter son aide, à travers une assistance et un accompagnement aux pays des régions en crise pour régler leur conflit. Mais elle n’interviendra jamais à la place des pays concernés. Dans ce sens, par exemple, la Chine a utilisé son droit de Veto 4 fois sur le dossier de la Syrie. Cette action n’est pas pour le maintien du président syrien Bachar Al Assad, mais seulement pour défendre le principe de la non ingérence et la non-intervention en force dans les affaires internes des pays.
La question du Sahara occidental reste encore sans solution. Comment est perçu ce dossier par Pékin ?
C’est vrai que c’est un problème qui existe depuis longtemps. La Chine souhaite, très sincèrement, que ce problème soit réglé d’une façon équitable et durable à travers l’instauration d’un dialogue. Le Conseil de sécurité de l’ONU a déjà adopté une série de résolutions sur la question du Sahara Occidental. La Chine en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU souhaite régler ce problème dans le cadre des résolutions des Nations Unies. Cela prend, peut-être, un peu de temps mais pour moi, cela en vaut la peine. Si on peut arriver à une solution de cette façon, elle sera certainement durable.
Un dernier mot à dire …
Je veux rendre hommage à la mission médicale chinoise présente en Algérie depuis 1963, et qui est rarement sous les projecteurs des medias, mais qui a fait un travail remarquable. L’Algérie était le premier pays africain à bénéficier de cette mission dès son indépendance. Depuis 1963 à ce jour, la Chine a envoyé plus de 3000 médecins, dont 80 sont présents aujourd’hui à travers 8 établissements hospitaliers algériens. Ils ont réalisé, depuis l’indépendance, 1 520 000 opérations et ils ont assisté à 1 530 000 accouchements. Les médecins de la mission médicale chinoise sont pris en charge par le Gouvernement chinois dans le cadre du projet d’aide au développement.
Noreddine Izouaouen