L’ex-officier de l’armée algérienne, devenu romancier, porte un regard d’espoir sur le mouvement populaire de contestation contre le régime algérien.
Ancien officier de l’armée nationale et écrivain algérien le plus connu au monde (il est traduit en 56 langues et a vendu des millions d’exemplaires de ses livres), Yasmina Khadra suit attentivement la situation en Algérie alors que de nouvelles manifestations contre le régime sont attendues ce vendredi.
Aviez-vous senti, dès l’annonce d’une candidature à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, que cela ne passerait pas ?
YASMINA KHADRA. Non, il faut être sincère, j’espérais ce mouvement, mais je ne l’attendais pas parce que les Algériens nous ont habitués à beaucoup de renoncements, de désistements, de démissions. Pendant des années j’ai écrit que l’Algérie avait renoncé. C’est un vrai bonheur aujourd’hui de m’apercevoir que je me trompais.
Pour l’instant le clan Bouteflika au pouvoir semble sourd et rigide vis-à-vis de la contestation ?
Non, il n’est pas rigide, il continue d’infantiliser le peuple algérien. Il croit pouvoir le berner comme il l’a fait par le passé en lui disant que dans neuf mois la vie sera améliorée. Mais le peuple algérien ne veut plus d’eux, il refuse leur « charité ». C’est un peuple intelligent qui a, c’est vrai, été sévèrement traumatisé par le terrorisme. Dans le livre « Qu’attendent les singes » (éditions Julliard 2014), j’écrivais déjà que la convalescence n’avait que trop duré. Aujourd’hui le peuple algérien se rétablit.
Ce mouvement est-il selon vous inarrêtable ?
Je n’en sais rien ! C’est imprévisible. D’autant qu’aucune alternative politique n’est prête. Il existe, je crois, 66 partis politiques en Algérie qui tous, à l’exception de quelques-uns comme le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) ou le FFS (Front des forces socialistes) et deux ou trois autres, sont pour la reconduction du régime. Je suis un passionné d’histoire et je ne connais pas d’exemple de dictateur ou d’empereur qui ait continué à régner tout en étant dans les vapes. Aucun régime au monde n’a produit une telle absurdité ! Sauf en Algérie.
Le régime a-t-il encore les ressources pour s’en sortir ?
Bien sûr. Les ressources sont du côté du régime. Il va tout faire pour essayer de calmer les esprits et continuer de régner sur les êtres et sur les choses. Mais les Algériens sont fatigués. Ils ne veulent plus voir leurs enfants traverser la Méditerranée sur des bateaux de fortune et mourir au large.
Pourquoi le régime n’a-t-il pas organisé la succession de Bouteflika ?
Parce que tout repose sur Bouteflika, que beaucoup de gens aiment toujours. C’est le talisman de ce régime car il a une légitimité historique. Les gens du clan autour de lui sont, eux, vomis par le peuple algérien. Ils ont atteint un tel niveau de stupidité qu’ils ne savent même plus ce qu’ils disent. Il faut les écouter débiter des âneries quand ils sont sur des tribunes !
Y a-t-il des failles possibles dans le soutien de l’armée au régime ?
Je ne le pense pas car cela fait vingt ans que le régime a corrompu jusqu’aux consciences. Pour l’instant, le chef d’État-major et son entourage immédiat pourraient faire le jeu d’apaisement du gouvernement. Mais si ce même État-major venait à donner l’ordre à l’armée de se dresser contre le peuple il ne serait pas obéi car ce n’est pas l’intérêt de l’armée.
La seule évolution ne peut donc venir que du peuple ?
Oui, c’est le peuple qui peut changer les choses, et il le sait.
Redoutez-vous la violence ?
Le pouvoir est capable de la provoquer : dans un sursaut de désespoir absolu, il va faire en sorte que les choses dégénèrent pour renvoyer le peuple au plus profond de ses traumatismes. Mais je souhaite de tout mon cœur que le peuple ne tombe pas dans ce piège.
La présence des islamistes ne complique-t-elle pas la situation ?
Vous savez, il faut vraiment connaître l’Algérie pour comprendre que l’islamisme n’a été qu’une manœuvre politicienne. Une horrible et effarante manœuvre politicienne. Aujourd’hui il existe quelques sectes, que j’assimile à un repli sur soi, de gens qui veulent divorcer d’avec la société. Mais ils n’ont plus cette force de frappe et de nuisance qu’ils avaient dans les années 1990. Parce que le peuple algérien ne leur pardonnera jamais les atrocités qu’ils ont commises. Les islamistes ne sont là que pour faire peur au peuple algérien et ils ne sont là que grâce au régime algérien. C’est un atout majeur dans son jeu.
Même si vous vivez en France, votre lien avec l’Algérie est toujours très fort ?
Oui bien sûr. L’Algérie c’est ma maladie, cela a toujours été ma maladie…
Drôle de formule pour parler de son pays !
C’est ma maladie car je l’aime atrocement. Je souffre à cause de l’Algérie. Un pays qui a sacrifié tellement de braves n’a pas le droit de baisser les bras. Ne pas croire, c’est mourir. Il faut donc que ce peuple algérien continue de croire pour ne pas mourir.
Le Parisien