Yasmina Khadra : une éducation sentimentale tragique

Yasmina Khadra : une éducation sentimentale tragique

Rentrée littéraire – À travers la vie amoureuse d’un champion de boxe, l’écrivain évoque l’Algérie coloniale des années 1920.

Ça débute comme ça: «Je m’appelle Turambo et, à l’aube, on viendra me chercher.» De cette première phrase à la dernière – «(…) jusqu’à ce que le grand sommeil nous soustraie aux désordres de toute chose.» -, l’écrivain Yasmina Khadra maintient une énergie prodigieuse dans ce nouveau récit coiffé de l’un des plus beaux titres de la rentrée littéraire: Les anges meurent de nos blessures (Julliard). On connaissait son talent de conteur, puisqu’il a déjà offert au public L’Attentat,Ce que le jour doit à la nuit (deux livres qui ont fait l’objet d’une adaptation cinématographique) ou encore Les Hirondelles de Kaboul et Les Sirènes de Bagdad.

Khadra s’attache particulièrement au parcours sentimental de son jeune héros

Dans ce nouveau roman, Yasmina Khadra évoque l’Algérie coloniale des années 1920. Pour cela, il conte l’histoire d’un gosse algérien nommé Turambo, du nom de son village qui a été rasé (peut-être ce village s’appelait-il Arthur Rimbaud?). Dès la première page, on connaît son sort: il est condamné à mort et attend son exécution par pendaison – «… à l’aube, on viendra me chercher», raconte-t-il, donc. Ensuite, Khadra déroule le fil de l’existence de cet antihéros, de son enfance démunie à ce destin funeste. Cette saga est menée de main de maître à un rythme trépidant où les situations claquent et les mots fusent. En parlant de Turambo, l’écrivain parle surtout de l’extrême pauvreté d’un pays, des relations complexes entre les trois communautés, les musulmans, les juifs et les colons, et des amours impossibles.

L’humour est la politesse du désespoir

De misérables petits boulots en galères sans nom, Turambo, analphabète, peu débrouillard, maudit et qui a le poing facile et percutant, finit par utiliser ce seul talent pour épouser la carrière de boxeur. Il y arrive, caresse la possibilité de devenir champion d’Afrique du Nord, connaît le luxe, les affres et les joies de l’amour. Enfin. Mais on n’échappe pas à son destin: même au faîte de sa gloire, on lui rappelle d’où il vient. Khadra s’attache particulièrement au parcours sentimental de son jeune héros, qui tombe amoureux dès qu’une fille porte une attention sur lui, même quand c’est une prostituée. S’il remporte des combats de boxe, dans les histoires de cœur, il n’est pas toujours vainqueur, loin de là. Avec un oncle toxique, une mère soumise et un père à moitié fou, la famille n’est jamais un refuge.

L’amitié qu’il sait nouer le sauve parfois. Cela donne une belle galerie de portraits de femmes et de gens cabossés, des scènes émouvantes, mais le plus savoureux reste les dialogues (un jeu de ping-pong littéraire) ainsi que la restitution des déboires, qui rappelle que l’humour est la politesse du désespoir. Il y a également cette manière que l’auteur a de parler des paysages et des villes, surtout d’Oran: ce sont de véritables personnages, hauts en couleur, qui vivent et respirent sous la plume du romancier. Mine de rien, sous forme d’une fiction divertissante, l’écrivain décrit et décrypte une période de l’histoire symboliquement chargée.

Yasmina Khadra, les anges meurent de nos blessures (Julliard). 403 pages, 21 €.